Vous avez un Kindle, les potes? Moi pas.
Mais maintenant, je connais un bon paquet de gens qui en ont un. Et je me suis dit qu'il était temps que je partage mes pensées fortement intéressantes sur le sujet.
Pour avoir testé l'engin une seconde et demie sur la première page d'
Orgueil et Préjugés, je peux vous dire qu'au rebours du détestablement lumineux iPad, le Kindle propose une 'expérience de lecture' satisfaisante, il faut bien l'avouer. Du moins, nos rétines survivent. L'écran imite parfaitement l'encre sur le papier. De ce côté-là, pas de problème. Il est léger. Il est compact. Il s'emporte partout. Etc.
Comparé aux vrais livres?
Je ne vais pas faire ma vieille aigrie de vingt-deux ans à vous rebattre les oreilles de l'odeur et du plaisir sensuel des vrais livres qui matelassent nos murs et tout ça va se perdre, ma bonne dame, à cause de ces machins électroniques. Je n'en pense pas moins, mais je pense aussi que chacun fait ce qui lui plaît, comme l'a un jour dit un intellectuel au coeur chagrin. Pour citer notre bon président, si y en a que ça les dérange, y zont qu'à aller se casser, les pauvres cons. Je ne vais pas jeter l'opprobre sur les garnisons d'amateurs de Kindle qui se contrefichent de l'orgasme synesthétique consécutif à la lecture de vrais livres solides à plusieurs pages (enfin, je leur conseillerais quand même de relire
Les Mots.)
Entre survie et piratage Je ne pense pas qu'on risque avec les livres électroniques la même Bérézina qu'avec la musique - pour avoir traîné sur de nombreux blogs d'édition, il semblerait que l'optimisme soit de mise. L'arrivée du livre électronique présente notamment la possibilité du livre éternellement en vente. De nos jours, si un livre lambda reste en vente quatre ou cinq ans, on peut déboucher le champagne. Avec le Kindle et autres lectrices, les bouquins, une fois retirés des étagères des librairies, seront toujours disponibles sur internet. Finie l'hécatombe des pilonnages: le livre aura une deuxième vie pixellisée, et les achats de ces bouquins continueront à rapporter des royalties à peu près équivalentes à leurs auteurs.
Cette idée me plaît bien, mais il reste le problème du piratage. J'ai demandé à deux amis qui possèdent un Kindle s'ils téléchargent légalement leurs bouquins. Le premier m'a dit qu'il téléchargeait légalement une fois de temps en temps - par exemple, s'il se voyait offrir à Noël un bon Amazon qui lui permette d'acheter des ebooks.
Le second m'a affirmé tout de go qu'il ne téléchargeait rien légalement. Son raisonnement était le suivant: si je veux un livre au point de payer pour l'avoir, je le veux sur mon étagère chez moi. Donc j'achète un vrai exemplaire. Sinon, je le télécharge illégalement. Et puis il s'est 'justifié' en affirmant que de toute façon, tous les ebooks qu'il téléchargeait (illégalement) sur Kindle étaient 'de la littérature de gare' qu'il 'lit dans les transports en commun'.
Donc pas la peine de payer les créateurs. Ils n'avaient qu'à pas écrire des bouquins merdiques qui se lisent facilement, ces abrutis.
Logique.
Toujours plusMon deuxième problème avec le Kindle (avec l'ebook en général), c'est l'extraordinaire frénésie de téléchargement qui semble s'emparer de certaines personnes qui en ont un. L'un de mes amis m'a montré sa 'bibliothèque'. Elle contient déjà plus de 150 ebooks (il a eu le Kindle pour Noël). Cet ami n'est pas un gros lecteur. Un adulte lambda, selon les statistiques, lit 7 livres par an (j'ai les statistiques US, corrigez-moi si j'ai tort). Un 'gros lecteur' (pas un lecteur professionnel) en lit entre 50 et 100. Un peu étonnée, je m'enquiers de la raison pour laquelle il a téléchargé autant de bouquins - il ne les aura certainement pas finis avant 2015. La raison est simple.
Quand on a 150 livres sur son Kindle, on peut en commencer un, lire deux, trois pages, et puis décider que ça ne nous plaît pas, et passer à un autre.
Ah ok.
Attention, je ne suis pas une puriste obsessionnelle-compulsive du finissage de livres. En général, je finis les bouquins que je commence, mais je ne suis pas maso - si ça me saoule grave, je repose le bouquin et j'en commence un autre. Mais je pense que mon seuil de tolérance dépasse les deux, trois pages. Je précise aussi que cet ami-là a une cinquantaine d'années, donc ne fait pas partie de ma génération prétendument incapable de se concentrer pendant plus de huit minutes.
Le Kindle change déjà, et va changer énormément de choses pour les auteurs, les éditeurs et les libraires. Sans parler des étudiants - pouvoir lire articles et livres sur une tablette et chercher par mots-clefs, quel rêve. Mais il va aussi changer les manières de lire, et peut-être fragmenter nos lectures. Côté salaire pour les auteurs et éditeurs, seul l'avenir nous dira si la montée du piratage sera équilibrée par une augmentation des téléchargements légaux.
En fait, ce n'est pas le Kindle qui risque de poser problème. Ce sont ses utilisateurs.
Pour l'instant, ce que j'ai vu de ces utilisateurs me laisse perplexe, voire un peu inquiète.