mardi 19 avril 2011

Tobie Lolness mesurait un millimètre et demi, ce qui n'était pas grand pour son âge.

Je vais sans doute me faire huer et conspuer puis fouetter publiquement à l'aide d'un bouquet de ronces crochues, mais jusqu'à la semaine dernière je n'avais toujours pas lu Tobie Lolness.

Evidemment, j'avais entendu parler de Timothée de Fombelle dont l'ascension fulgurante dans le milieu de la littérature jeunesse était parvenue jusqu'à mes oreilles anglocentrées il y a deux ans. Je l'avais ensuite entendu discuter de Vango dans je ne sais plus quel podcast (Jusqu'à la Lune et retour peut-être?). Je l'avais simplement ajouté à ma liste mentale de trucalires, si vous voyez ce que je veux dire, mais je n'avais pas fait l'effort amazonesque d'aller acquérir ses oeuvres à renfort de souris et de carte bleue.

Bref, voilà où en était la situation jusqu'à ce que ma tante (que je remercie au passage) ne s'indigne fermement de cette funeste lacune et me force à lui emprunter Tobie Lolness, qui était passé entre les mains de mon cousin, d'elle-même, et de mon oncle, et avait ainsi reçu l'approbation de presque toute la famille (la petite soeur ayant encore quelques années devant elle avant d'apprendre à lire).

J'ai commencé à lire Tobie Lolness dans l'Eurostar (ah! combien de grandes aventures débutent ainsi par un voyage en train!). Mauvaise idée, car c'est le genre de livre qui te donne envie d'aller tapoter l'épaule du mec en face pour lui dire 'Permettez-moi, businessman à Blackberry, de vous déranger intempestivement pour vous annoncer que si vous n'avez pas lu Tobie Lolness à cinquante ans, c'est que vous avez raté votre vie'. J'ai réussi à me retenir, cependant, mais je hoquetais de joie telle la mouette rieuse, passant pour une dangereuse maniaque auprès de mes covoyageurs.

Tobie Lolness est absolument jouissif: c'est drôle, intelligent, intense, et très joliment et pertinemment illustré. C'est aussi l'un de ces livres qui a automatiquement la texture d'un classique. L'intrigue se déroule dans un arbre-monde, un peu à la Claude Ponti: c'est le reflet évident de notre propre univers, avec ses questions sociales et environnementales et ses problèmes politiques. Mais la fraîcheur du style et de l'intrigue évitent à ce parallèle toute lourdeur. L'idéologie est en fait étonnamment conventionnelle, avec ses héros et ses méchants qui représentent différentes approches de ce que c'est d'être un homme, son héroïne forte et faible à la fois, et ses nombreuses familles unies et traditionnelles qui sont, sauf exception, le lieu de l'épanouissement et du bonheur. L'amour vainc la haine et ses tendances destructrices, le destin favorise ceux qui respectent les lois du monde et de la nature. Mais cette conventionalité s'accompagne d'une telle tendresse dans l'écriture, d'un tel attachement pour ces anciens idéaux, qu'il est presque impossible de ne pas être séduit par l'histoire, même si l'on en perçoit parfois le versant un peu moins glorieux.

C'est un livre vraiment extrêmement brillant, où chaque dialogue est drôle et délicieux, chaque scène d'action plus vibrante que la précédente. Le premier tome (meilleur que le second, je trouve) est admirablement bien structuré, éparpillant les flashbacks pour organiser le suspense et empêcher le lecteur de s'attarder trop longtemps sur des détails qui auront leur importance plus tard. La qualité littéraire du récit est remarquable, enchaînant des trésors de métaphores et de comparaisons qui, peut-être, en rebuteront certains, mais certainement pas moi. Les personnages censés amuser la galerie entre deux scènes dramatiques, comme le merveilleux Patate, sont particulièrement bien réussis, car Fombelle ne se limite pas au répertoire habituel de ces figures comiques et invente bien d'autres ressorts surprenants et hilarants. Il justifie aussi leur rôle en les incorporant complètement dans l'histoire.

Tobie Lolness, en résumé, sort vraiment du lot. Qu'il soit décrit comme conte, fable, fantasy ou roman d'aventure, il est, je pense, bien parti pour trouver sa place dans toutes les bibliothèques francophones et étrangères pour les générations à venir. Et oui, je sais, vous allez sans doute me dire qu'évidemment vous l'aviez déjà lu et que j'ai mille trains de retard, mais mieux vaut tard que jamais...

dimanche 17 avril 2011

Colloques en folie

De retour d'un colloque à Oslo sur la littérature jeunesse et déjà à la préparation de trois ou quatre autres. En juin, je m'envole pour la Virginie (tous les Ricains de mon accointance s'exclament 'la Virginie? mais pourquoi? y a trop rien à faire là-bas!') pour un colloque sur la révolte et la révolution dans la littérature jeunesse contemporaine. En juillet, je traverse l'Angleterre pour aller à Chester à un autre colloque. En septembre, je pars pour Tübingen en Allemagne où je prendrai part à une table ronde pour doctorants sur les albums jeunesse.

Le colloque auquel je viens de participer, en Norvège, portait sur les albums jeunesse du nouveau millénaire. J'y ai présenté un papier sur la construction de l'identité nationale française à travers la révolution dans trois albums contemporains:


Les enfants de la Révolution, de Thibaud Guyon, 2010, l'Ecole des Loisirs (sur la Révolution Française)












Véro en Mai, d'Yvan Pommaux et Pascale Bouchié, 2008, L'Ecole des Loisirs (sur Mai 68)




Tous en grève! Tous en rêve!, d'Alain Serres et Pef, 2008, Rue du Monde (sur Mai 68)















Je vous conseille fortement, évidemment, de lire ces trois albums qui, déjà, sont très réussis, mais qui reflètent aussi tout le paradoxe de la transmission de l'héritage révolutionnaire aux enfants (qui coïncide d'ailleurs parfois avec les problématiques de la théorie de la littérature jeunesse). On a d'un côté l'adulte galvanisateur, qui encourage l'enfant à exercer son esprit critique et à se libérer de l'autorité (ou au moins de la contester) en s'inspirant des grandes figures révolutionnaires et d'une iconographie très symbolique, inspirée de La Liberté guidant le peuple, de Delacroix. De l'autre côté, on a toujours la tendance protectrice de l'adulte qui cherche à conserver son autorité en l'établissant comme légitime et durement gagnée par des luttes passées, et à préserver l'enfant dans un état d'innocence. Les deux tendances cohabitent dans ces livres qui dessinent l'identité française dans toutes ses contradictions, à la fois constamment renouvelée par un cycle de révolutions et de contestations, et éternelle parce que précisément ancrée dans cette 'tradition' révolutionnaire.

A Oslo, les organisateurs de ce colloque international nous ont passé le relais, à nous les cinq doctorantes de Cambridge, pour organiser la prochaine édition du colloque en mars ou en avril 2012. On s'est donc déjà lancées dans les préparatifs, et ça s'avère chargé - il faut qu'on fasse des demandes de financement, qu'on lance des appels à contributions, qu'on organise tout depuis les pauses café jusqu'à la publication du livre tiré du colloque. Mais déjà, en quelques jours, on a eu notre lot de joies et de surprises et je n'ai qu'une hâte - qu'il y en ait d'autres.

Et puis il faut quand même que je fasse mon doctorat en parallèle.

dimanche 3 avril 2011

Shaun Tan, Prix Astrid Lindgren


C'est une très grande année pour l'auteur et illustrateur australien Shaun Tan, qui a reçu mardi dernier le prix Astrid Lindgren. Le prix Astrid Lindgren, c'est le Nobel de la littérature jeunesse: un prix annuel d'une valeur d'un demi-million d'euros, décerné à un/e créateur/trice exceptionnel/le dans cet art, ou à un organisme promoteur de la littérature jeunesse. Parmi les anciens gagnants du prix, on rencontre Pullman, Sendak et Paterson. C'est un jury qui décide du vainqueur à partir de nominations venues du monde entier (notre petit 'clan' de doctorantes en littérature jeunesse allons d'ailleurs présenter nos nominations en mai pour le prix de l'année prochaine - je vais essayer de faire du forcing pour faire passer Ponti).

Fait exceptionnel, Shaun Tan a déjà reçu, cette année, l'Oscar du meilleur court-métrage animé pour The Lost Thing, tiré de son album du même nom - quinze minutes d'un autre monde, que je vous conseille vivement de soustraire à votre vie quotidienne, car vous ne le regretterez pas. Le monde de Shaun Tan est unique et étonnant, à mi-chemin entre la science-fiction et le steampunk, avec un amour du sépia et des machines à rouages rouillées qui donne à ses albums une atmosphère faussement désuète. Mais il y a aussi quelque chose de kafkaïen dans les univers de Shaun Tan où les mouvements des hommes en société sont mécaniques, et où le merveilleux n'est remarqué que par quelques-uns. Tan est un champion du 'réalisme magique', ce mode littéraire et artistique qui consiste à présenter comme normaux et quotidiens des éléments surnaturels et bizarres. Dans The Lost Thing, par exemple, on assiste à l'amitié naissante entre un jeune garçon et une gigantesque machine mi-métallique mi-végétale, dans un monde où les passants peu émus par ce genre de créatures cherchent surtout à les recenser et à les catégoriser. La fin presque psychédélique du film et de l'album ouvre sur un monde multicolore et paradisiaque où les machines s'ébattent enfin en liberté... avant de rendre l'enfant, seul, à la société clinique et indifférente, comme un rêve qui se clot.

Shaun Tan est bien traduit en France, chez Gallimard et chez Dargaud, et je vous recommande chaudement d'aller découvrir ses albums incongrus et méditatifs, très souvent drôles, et qui méritent brillamment ce nouveau couronnement dans le monde de la littérature jeunesse.