
L'une de mes amies est en train de lire Hunger Games, de Suzanne Collins, le phénomène du moment. Comme je l'ai expliqué de manière un peu tranchante il y a quelque temps, je suis loin d'être fan de Hunger Games, mais je suis prête à en reconnaître l'intérêt comme objet d'étude. Pour ceux qui vivraient dans un iglou avec pour seul moyen de communication un téléphone en pots de yaourt, Hunger Games est une dystopie qui raconte la lutte à mort de vingt-quatre adolescents, en direct à la télévision, lors d'un grand 'jeu' de massacre national.
Le jour de la terrible tuerie perpétrée à Oslo et sur l'île voisine d'Utoya, mon amie m'a envoyé l'email suivant: 'c'est en voyant des choses comme ça que je n'arrive pas à croire que j'ai « bien aimé » Hunger Games'. L'association ne m'était même pas venue à l'esprit. Mais depuis, je n'arrive pas à m'en débarrasser.
Evidemment, il n'y a absolument aucun lien direct entre Hunger Games et le massacre d'Utoya. Mais en écoutant les témoignages glaçants des adolescents rescapés, en voyant les images terrifiantes de l'événement, on ne peut que se dire que c'est à ça que ressemble véritablement une tuerie froide et organisée de la jeunesse d'un pays.
Et c'est là qu'on se rend compte à quel point le genre de littérature auquel appartient Hunger Games nous désensibilise à la réalité de ce que représente la mort d'un enfant ou d'un adolescent. Anesthésiés par une lecture terrifiante mais ô combien divertissante (impossible de lâcher le bouquin, je défie quiconque de le lire en plus d'une journée), nous absorbons, sans en saisir le sens, le massacre méthodique de vingt-deux adolescents. Les personnages du livre, évidemment, sont suréquipés face à la mort, et la confrontent, la donnent et la reçoivent sans faiblir.
Maintenant que le film est en plein tournage, nous sommes également bombardés de photographies des jeunes acteurs et actrices choisis pour incarner les personnages, dans une sorte d'énumération glauque et glamour. 'Laura Smith, 15 ans – rôle: jeune fille numéro 7'. Comprenez: cette blondinette californienne 'mourra' dans les premières minutes du film. Mais c'est son premier rôle hollywoodien! et ce n'est que son personnage qui meurt, pas elle, évidemment. Ce rôle d'enfant sacrifié, c'est la chance de sa vie.
Et voilà que brutalement le massacre d'Oslo s'impose à nous, et la réalité nous force à regarder en face un pays dont l'histoire va être entièrement réécrite, des centaines de personnes empêchées pour toujours de vivre une vie normale par le souvenir terrible de ceux qu'ils ont perdus. Voilà à quoi ressemble véritablement le meurtre de dizaines d'enfants et d'adolescents.
Je ne veux tirer aucune conclusion de cette réflexion. Evidemment, la fiction remplit une fonction dans notre compréhension du monde. Le voyeurisme de Hunger Games s'apparente à un exercice cathartique déjà bien analysé. Il n'y a rien de mal à lire Hunger Games.
Mais lorsque l'on se réveille de cette fable télévisuelle hystérique et haletante, et que l'on reçoit les images et les paroles des adolescents et des enfants d'Utoya, on ne peut que se sentir incertain, mal à l'aise d'avoir tant accroché à l'histoire, et peut-être pour se donner une contenance, on est forcé de se répéter, encore et encore – Voilà à quoi ressemble véritablement le massacre méthodique d'enfants et d'adolescents.