(NB. Tu vas rien comprendre si tu lis pas la première partie
qui est là !)
Commençons cette seconde partie sur l’Art du Dialogue en
Littérature Jeunesse en nous gaussant d’une critique des Malheurs de Sophie pêchée sur internet :
Plus du tout d'actualité |
Ca y est, vous avez essuyé vos larmes de rire ? Bon.
N’empêche qu’ilouelle a raison : Sophie et Paul ne dialoguent pas comme
vos petits Léa et Enzo. Est-ce un problème ? C’est à voir. Ca n’a jamais
été un problème pour mini-Clémentine version 6 ans, mais sans vouloir me la
péter, j’étais une Wunderkind de la lecture, avec les résultats qu’on sait,
c’est-à-dire une surdiplômisation dans une filière sans débouché avec zéro
perspective de salaire convenable. Mais je m’égare.
Faut-il, en littérature jeunesse, que les dialogues soient
‘plus’ réalistes qu’en littérature adulte pour faire 'vrai' ? Notez que je
dis réalistes, pas réels, car :
Dialogue ‘réel’ entre Léollyanna*, 4 ans, et son père :
Papa : Alors ma puce, tu as fait quoi
aujourd’hui ?
Léollyanna : Ben, Augustin, il avait oublié ses
crayons ! et après la maîtresse elle a dit… la maîtresse elle était venue,
et… Mais aussi tu sais la balançoire elle était cassée ! Et et et et
Justine après elle a dit « hého ! toi ! tu
t’pousses ! » Et aussi… [intérêt pour la conversation subitement
perdu, recentrement de l’attention sur un affreux shi-tzu en laisse]
Dialogue ‘réaliste’ entre Léollyanna, 4 ans, et son
père :
Papa : Alors ma puce, tu as fait quoi
aujourd’hui ?
Léollyanna : J’ai fait des coloriages avec Augustin, et
ensuite la maîtresse nous a donné des images. A la cantine on a mangé des
kiwis, et après on a joué au ballon prisonnier.
Donc dans le premier cas, on a un truc qui sonne comme s’il
avait été écrit sous LSD, et dans le second cas, un truc fabuleusement ennuyeux
parce que j’ai eu la flemme de faire intéressant, mais plus ou moins cohérent,
qui ignore le fait qu’un humanoïde de cet âge-là a du mal à narrativiser de
cette manière, mais conserve le vocabulaire et le niveau de langue qu’on
pourrait attendre de lui dans la réalité.
Le texte, en littérature jeunesse, ne peut pas, peut-être,
paramétrer entièrement la ‘véracité’ des dialogues. Un degré de réalisme, d’effet
de réel, resterait donc nécessaire. J’emploie le conditionnel parce que je ne
suis pas à 100% sûre que c’est le cas. Mais c’est l’hypothèse que
je fais en ce moment : le dialogue « vrai » en littérature
jeunesse ne peut se concevoir sans un fort effet de réel. Au contraire, dans un
bouquin comme Ada, de Nabokov, le
texte est configuré pour qu’on accepte parfaitement – pour qu’on se délecte,
même – des dialogues complètement irréalistes entre les enfants prodiges Ada et
Van. Construction et convention plutôt qu’ « essence » du texte
pour enfants, c’est certain, mais qui mène à une définition instinctive très différente de ce qu’est un dialogue qui « sonne
vrai ».
C'est pour cela peut-être qu'il est aussi difficile pour un écrivain de livres pour 'adultes' de subitement se mettre à écrire pour les enfants. En général, ça ne marche pas terrible, parce qu'ils restent dans l'état d'esprit du texte qui configure les dialogues. Et qu'ils sont souvent détachés de la 'réalité' du parler-gamin, puisque leurs autres textes nécessitent moins d'effet de réel.
Parce que même s'il est possible de s'en émanciper un peu, difficile d'écrire des dialogues réalistes quand on n'a aucune idée de ce qui se raconte en cour de récré. Cette question a été particulièrement importante pour moi lors de l’écriture de La pouilleuse, qui est un roman censé être réaliste, actuel, et centré sur un groupe d’ados de 17 ans des beaux quartiers de Paris. Coup de chance, j’en étais une il y a 6 ans. Mais apparemment, c’est déjà trop loin. C’est grâce à ma sœur, qui, elle, a toujours 17 ans, et qui a relu deux fois La pouilleuse malgré sa phobie des poux (!), que des irréalismes dans les dialogues ont été modifiés. Apparemment, personne de cet âge-là ne dirait « On lui donnerait le bon Dieu sans confession ». Moi, à 23 ans, je le dis quarante-huit fois par jour. Comme quoi on change.
Donc pour moi les dialogues en littérature jeunesse reposent souvent sur un réalisme plus ancré à l'extérieur du texte que les dialogues en littérature jeunesse. Encore une fois, je précise que je pense qu'il s'agit davantage d'une convention, d'une attente, que d'une nécessité ontologique du médium. Après tout, personne ne nous dit que l'enfant-lecteur aurait des problèmes à s'attacher aux personnages si c'était, comme en littérature adulte, le texte qui paramétrait surtout les dialogues. Sophie et Paul restent compréhensibles, et les Malheurs reste un livre pour enfants. Peut-être est-on, comme d'habitude, beaucoup trop frileux lorsque l'on s'adresse à un lectorat qu'on estime moins 'sophistiqué'. Je pense que les petits lecteurs n'auraient en réalité aucune difficulté à suivre des dialogues beaucoup plus détachés de la manière dont ils parlent 'vraiment'.
Qu’en pensez-vous ? Comment écrivez-vous vos dialogues ?
Racontez-moi tout ça sur le divan des commentaires.
*réalisme ajouté par une invention de prénom, puisqu'il semble que trouver les prénoms de ses gamins en tirant au hasard des lettres de Scrabble fait
fureur ces temps-ci.
Intéressant tout ce que tu dis sur le dialogue !
RépondreSupprimerPas toujours facile de trouver la juste mesure qui donnera ce fameux effet de réel. Il faut paraître "djeune", mais toucher juste. Je me souviens avoir fait dire à un de mes personnages qu'il allait prendre sa "mob'" (mobylette), alors que les jeunes d'aujourd'hui se déplacent plutôt en "scoot" (scooter) (Trop ringarde, là, sur le coup !). D'un autre côté, si tu branches un enregistreur à la sortie d'un lycée et que t'écris tes dialogues tout comme ce que tu entends, ça donnera un dialogue creux, voire artificiel. On ne s'attend pas à trouver à l'écrit ce qu'on dit à l'oral. Le dialogue de fiction est toujours de la reconstitution plus jolie, plus construite de la parole.
Bon, pas facile cette histoire...
Très intéressant. Ça me fait penser aux romans que j'adore lire l'été, les histoires d'Elizabeth Peters à propos d'une égyptologue anglaise du XIXe,Amelia Peabody, féministe et progressiste, qui résoud des mystères en compagnie de son grognon de mari tout en faisant des fouilles archéologiques. Ils ont un fils terriblement précoce pour son âge qui a une façon de parler totalement irréaliste : personne de son âge, même un petit Anglais bien élevé à la fin du XIXe siècle, ne peut parler comme ça. Et pourtant ça ajoute beaucoup d'humour et de rebondissements à l'histoire, qui est par ailleurs très rocambolesque. Mais j'adore ces romans et j'en suis devenue accro : alors ça marche?
RépondreSupprimerJe ne sais pas si ce genre de romans est lu par des jeunes, mais moi ado je lisais tout autant des revues pour ado qu'Agatha Christie, alors...