Reprenons donc notre petite conversation sur la mort de l'auteur. La dernière fois, je vous avais laissés sur un cliffhanger du tonnerre:
QUE SE PASSE-T-IL QUAND LE CRITIQUE S'EN MÊLE???! |
Dans cet article, Butler, qui est universitaire en littérature jeunesse mais également auteure de livres pour enfants, analyse l'analyse qui est faite de l'un de ses romans (Calypso Dreaming) par quatre pontes de la discipline dans un ouvrage universitaire récent.
Butler refuse donc la notion barthésienne que l'auteur d'une oeuvre est la personne la moins bien placée pour en parler; "non pas parce que les auteurs de fiction sont impartiaux ou parce qu'ils n'ont pas d'intérêt à promouvoir certaines lectures de leurs textes, mais parce que la partialité est la condition universelle de la lecture critique."
Comme elle le montre, de manière très détachée et minutieusement argumentée, il n'y a aucune raison de penser que l'opinion de l'écrivain sur son oeuvre est plus partiale que celle du critique. La mort de l'auteur, qui, comme le veut Barthes, donne lieu à la "naissance du critique", n'est que l'avènement d'une autre suprématie dans la lecture d'un texte. La critique reste une écriture créative qui n'a rien de neutre.
Cela peut paraître évident à toute personne qui a déjà fait de l'analyse littéraire de près ou de loin, mais c'est un fait qui est relativement rarement énoncé de cette manière. Si l'on parle de "débat" autour d'une analyse de texte, c'est pour dire que deux critiques s'opposent sur la lecture d'un texte - surtout pas que l'auteur a quelque chose à ajouter à ces deux lectures. L'auteur est mort et enterré.
Pourtant, en évinçant l'auteur, comme le montre Butler, on décide volontairement d'ignorer une lecture critique informée par d'autres sources. Mais l'auteur est largement considéré dans la Tour d'Ivoire comme narcissique, incapable d'autocritique, ignorant de ce qu'il ou elle fait. Le problème vient peut-être, dit-elle dans un autre article, du fait que les intellectuels ont traditionnellement du mépris pour les "artisans".
Et c'est vrai que quand on voit ce que Stephenie Meyer va nous sortir sur Twilight - 'quand j'écris qu'un vampire veut boire du sang c'est ça que je veux dire, je ne vois pas où vous allez chercher toutes ces scènes de viol', on peut se dire que, ben -
Aucun signe de vie intelligente en vue. |
Mais à côté de ça, il y a Vladimir Nabokov, A.S. Byatt, Salman Rushdie, J.R.R. Tolkien, Philip Pullman, évidemment Sartre, et encore des dizaines d'autres, qui sont ou ont été universitaires en littérature et ont sans doute des choses intéressants à dire sur leur oeuvre, au moins autant que n'importe qui d'autre avec un doctorat.
Et puis ce règne du critique depuis la deuxième moitié du XXe siècle vient aussi, si on veut faire de la psycho de café du commerce, de certains désirs obscurs un peu moins évidents qu'un noble souci d'objectivité dans l'étude littéraire. Barthes était sans doute un écrivain frustré - ça se voit à douze kilomètres que Le plaisir du texte a terriblement envie d'être un roman - et, en tuant l'auteur, se promeut comme par hasard comme nouvelle autorité suprême.
Ceux qui sont à la fois auteurs et critiques s'en rendent compte mieux que personne: quoi qu'on fasse, ce sont les mêmes thèmes qu'on ressasse en permanence. L'enfance, le pouvoir, le temps: mon triangle thématique à moi, réitéré à la fois dans mon écriture critique et dans mon écriture créative. Comme le dit Butler, la seule différence, c'est que ces obsessions s'expriment un peu différemment selon le type d'écriture:
Dans mes textes universitaires, j'écris sur ces thèmes, mais dans mes oeuvres de fiction j'écris au travers d'eux.Il est impossible de justifier que le discours de l'écrivain sur ses livres n'appartienne qu'au "grand public" et reste ignoré par les universitaires, surtout si ce discours est intelligent, informé, pertinent, critique. L'écrivain est aussi critique que le critique est écrivain.
Et de toute façon, cette barrière entre discours critique et discours créatif s'effondre en ce moment sous le poids d'Internet. Sur mon fil Twitter, je peux suivre en direct les derniers commentaires de Margaret Atwood sur le livre qu'elle est en train d'écrire. Tel auteur jeunesse propose des idées de noms pour son personnage. Un autre répond à des questions d'un lecteur. L'oeuvre se critique en même temps qu'elle se fait. L'auteur n'est plus cette figure Stieg-Larssonesque qui dépose son manuscrit sur le pas de la porte de l'éditeur et meurt d'une crise cardiaque. Il est là en permanence, avant, pendant et après, et son discours est disponible en ligne et en temps réel pour tout le monde.
C'est "l'éléphant dans la pièce" - impossible de continuer à tourner autour.
Cet article est excellent! Je trouve que c'est ton meilleur article d'ailleurs (mais les autres sont très bons aussi...bref)
RépondreSupprimerJ'abonde complètement dans ton sens concernant Barthes : rien que son style d'écriture prouve qu'il aimerait bien que l'on soit dans l'ère du critique; et quand on écrit un livre appelé "Roland Barthes par Roland Barthes", plus égocentrique, tu meurs...!
Je vais vite lire Butler, ça a l'air passionnant!
PS: of course, les thèses qui aborderaient un auteur sans aller lire ses autres textes, surtout s'il s'agit de la vision de l'auteur sur sa propre œuvre, tombe complètement à côté de la plaque (pas de félicitations du jury, coupe de champagne refusée et même confiscation des clés de la cafét', le pire est à venir...)
Merci beaucoup! et c'est bon à savoir - je marche sur des oeufs en effet car je ne sais pas comment ça se passe pour ceux qui font de la 'vraie' littérature. Mais 'tain, les clés de la cafét, quand même, c'est rude!
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