Donc l'autre jour j'ai lu Voyage au centre de Paris, d'Alexandre Lacroix, qui est un roman fort bien tricoté, où l'on apprend des dizaines de choses sur Paris, où l'on passe de jolie phrase en jolie phrase, et où tous les philosophes de la grande encyclopédie mentale de l'auteur se bousculent élégamment.
Il y a une expression dans ce lacis de rues et de références littéraires qui m'a sauté aux yeux: le narrateur parle de, je crois, Rilke, et d'écriture et de jeunesse, et il dit qu'il ressentait en tant que jeune écrivain une sorte de "nostalgie des livres à venir".
Oxymore total, évidemment, puisque la nostalgie c'est, étymologiquement, la fameuse 'douleur du retour', le regret de n'être plus où on était avant - donc comment peut-on avoir la nostalgie de quelque chose qui n'est pas encore arrivé? Et pourtant je comprends tout à fait ce qu'il veut dire. Pour moi aussi, c'est comme si j'avais déjà en tête mes 'livres à venir' - livres pour enfants, livres universitaires, livres pour adultes... Ils paraissent tellement réels qu'ils sont presque palpables, je les 'vois' sur mon étagère de Mes Livres à Moi, ils existent déjà, c'est certain - même si je serais bien incapable de vous dire ce qu'ils racontent. Ils sont simplement en attente, alors je les guette avec confiance.
Mais le problème, évidemment, c'est que cette bibliothèque de livres prévus ne cesse d'être trahie par celle qui se constitue réellement. Aucun livre que j'écris ne me plaît assez pour en faire partie; je perçois donc tous mes livres réels comme faisant partie de la fausse étagère, l'étagère qui est là pour accueillir les avortons et les brouillons en attendant que la vraie, la vide, se remplisse des vrais livres à venir. Ce sont ceux-là pour lesquels j'ai de la 'nostalgie', vers lesquels j'ai la 'douleur de retourner' dès que l'euphorie de l'écriture d'un nouveau livre réel est passée... et que j'identifie encore une fois ce nouveau bébé comme faux, comme pas-encore-ça.
Donc quand on me parle de mon dernier bouquin en date, j'ai toujours envie de dire: 'Non, non, attendez le prochain, il sera mieux!'. Mais bien sûr qu'il ne sera pas parfait non plus et sera donc faux, une erreur, une imposture, il ira décorer la fausse étagère en attendant les vrais livres à venir.
Oui ok, il y a du Clément Rosset et du Nicolas Grimaldi à fond les ballons dans ce que je raconte, au cas où vous vous demanderiez ce que je bouquine en ce moment. Mais rassurez-moi, les potes auteur/es, vous aussi, ça vous fait ça?...
Allez, à plus. Je vous promets que le prochain billet de blog sera mieux. Et après j'ouvrirai un vrai blog. Celui-là, c'est juste en attendant.
U PDATE: coïncidence ou sérendipité, cette petite phrase retrouvée dans Pyrrhus et Cinéas, de Simone de Beauvoir, ce matin... ‘L’écrivain est impatient d’avoir fini ce livre pour en écrire un autre: alors, je pourrai mourir tranquille, dit-il, mon oeuvre sera achevée’ (p.254)
mercredi 17 avril 2013
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En effet, l'oxymore du roman porte à réfléchir. Merci pour ce partage, je commande le livre illico! D'ailleurs, j'adore votre blog! :)
RépondreSupprimermerci! j'espère que vous l'aimerez !
SupprimerTu mets des mots sur ce que je ressens et que j'aurais été bien incapable d'exprimer ainsi. Mais oui, chez moi aussi, il y a de cela... celui à venir et qui ne vient pas forcément d'ailleurs mais qui me permet d'ouvrir un nouveau chantier quand celui d'avant se ferme, en sachant pertinemment qu'une autre idée viendra ensuite, presque "anéantir" la précédente... et ainsi de suite...
RépondreSupprimeroui, cette frustration est certainement créatrice de toute façon :)
SupprimerC'est beau, c'est vrai tout ça. Je suis encore débutante, pourtant quand je regarde mes livres édités, je sais que le prochain sera mieux, ce sera le bon... c'est à lui que je pense (ou plutôt à eux ^^ )
RépondreSupprimerEt puis il y a aussi ces histoires éditées qui ne sont pas celles que je préfère : dans mes tiroirs il y a de jolis textes que je chérie, que j'aime très, très fort mais qui ne touchent pas les coeurs ou la raison des éditeurs ... malheureusement!! ;)
oui exactement Julie! je voulais justement écrire un prochain billet sur les livres non-édités!
SupprimerMerci pour ce billet qui touche en plein coeur de ce qui est à la fois une angoisse sourde et un espoir intense, toujours présent dans le petit cerveau souvent surchargé de l'auteur.
RépondreSupprimerSouvent, quand je fais des animations en école, les enfants me demande: c'est lequel ton meilleur livre. Et je réponds toujours: le prochain.
Mais oui, c'est ça ! Tellement ça !
RépondreSupprimerExactement comme tu dis... Avec en plus, parfois, une impression d'imposture due à ma toute petite expérience d'écriture ^^
Je pense qu'il s'agit également de nostalgie parce que le livre a existé pour nous lors de son écriture, et qu'il cesse d'exister dans les limbes du processus d'édition. Lorsqu'il sort enfin en librairie, c'est comme une deuxième naissance pour l'oeuvre, mais il ne nous appartiendra jamais plus aussi complètement que lorsque nous ne le partagions avec personne.
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