Quand je disais ‘Talents Hauts’, avant, on répondait ‘hein? Talon Haut?’.
Mais ça, c’était avant.
Maintenant, la petite maison d’édition formée par Laurence Faron et Mélanie Decourt est connue de tous les libraires et bibliothécaires jeunesse. Moi aussi, comme Gaël, je garde un attachement particulier à cette maison parce que Laurence et Mélanie ont été les premières à me publier. Mais je veux surtout rendre hommage ici à cette maison qui a tant fait dans la lutte pour les droits des femmes, en 10 questions-réponses…
1) Des livres pour enfants explicitement engagés, est-ce que c’est de l’endoctrinement?
J’ai une opinion assez claire sur ce sujet, dont j’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog. L’idéologie peut être implicite ou explicite, et l’idéologie explicite n’est pas forcément la plus dangereuse. Certes, exprimer un point de vue sur le monde et l’enseigner aux enfants, c’est bien sûr espérer qu’ils le prennent en compte. Mais les enfants sont soumis à bien d’autres influences, beaucoup plus pernicieuses car ‘invisibles’: comme des caméléons, elles ont pris la teinte du papier peint; on ne les remarque plus. Ces influences, qui font partie de l’idéologie dominante, il faut les combattre, et il faut le faire de manière explicite ainsi qu’implicite.
2) Mais ces livres ne sont-ils pas trop didactiques?
Ca dépend! comme dans tous les cas de maisons d'édition engagées, et de livres engagés, il y a à prendre et à laisser. Mais aussi comme dans tous les cas de maisons d'édition normales... certains livres sont plus réussis que d’autres. Ce qui m'impressionne chez Talents Hauts, c'est que sur dix ans, elles ont constamment et intelligemment réajusté leurs attentes, peaufiné leurs techniques d’édition, cherché à transcender les genres (littéraires et autres!) et les approches pour justement ne pas tomber dans le didactisme. Maintenant, on a une maison d’édition à la production incroyablement bariolée, mûre, parfois drôle parfois sombre, et des livres qui gagnent de nombreux prix (voir Gaël Aymon bien sûr, mais aussi Florence Hinckel, Jo Witek…). Et des traductions de l’étranger. Et des nouvelles collections. C’est une maison qui a su évoluer, répondre à son public, s’adapter au climat politique aussi, et toujours se questionner soi-même tout en posant des questions à ses lecteurs.
3) La lutte pour l’égalité, est-ce vraiment nécessaire ces jours-ci?
J’aurais pu faire une longue réponse là-dessus, mais franchement, vu ce qui s’est passé ces dernières années et ce qui nous arrive maintenant en pleine figure, je ne pense pas vraiment avoir besoin d’argumenter.
4) OK, mais est-ce nécessaire d’en faire une ligne éditoriale?
Je suis heureuse qu’en France il existe une (et même plusieurs) maisons d’édition qui ne se contente pas de publier un livre de temps en temps qui parle de l’égalité, mais qui se déclare féministe et en fait vraiment son cheval de bataille. Ca envoie un message très fort, et je le ressens d’autant plus que là où je suis, en Angleterre, ce n’est pas le cas. On n’a pas de lignes éditoriales engagées, juste des éditeurs qui veulent vendre beaucoup, et pour qui l’engagement, de temps à autre, est simplement une stratégie marketing.
5) Justement, ça ne serait pas juste une stratégie marketing, tout ça?
Si si, c’est pour ça que Laurence et Mélanie vivent sur leur île privatisée et se déplacent en Aston Martin avec leurs bébés tigres des neiges, sirotant de délicats nectars de truffe… Ceux qui disent que l’engagement est un business me font bien rigoler. L’égalité homme-femmes, c’est l’antimatière du capitalisme et de son idéologie dominante. La promouvoir systématiquement, c’est s’opposer à tout un système économique, politique et culturel qui s’appuie, pour ‘vendre’, sur des stéréotypes qui ont une valeur pas seulement symbolique mais aussi marchande. Il y a des ‘niches’ d’acheteurs pour les livres engagés, c’est vrai, mais se lancer dans ce genre de ‘business’, c’est vraiment s’exposer à un ascétisme et s’imposer une éthique, ce n’est pas chercher un ‘filon’.
6) Les livres engagés, c’est bien gentil, mais ça serait pas seulement pour les bobos?
Si, beaucoup, c’est vrai. Dans les faits, la culture pour enfants est très inégalement distribuée. Mais justement, ce que Talents Hauts a fait depuis des années, c’est se démener comme des dingues pour que leurs livres arrivent dans les mains de tout le monde. Avec leur concours annuel, des classes de toute la France peuvent écrire un conte féministe et l’une d’entre elles le voit illustré et publié. Leurs auteurs, pour qui l’égalité a évidemment une grande importance, se rendent dans de nombreuses écoles et collèges pour parler de ces questions.
7) C’est quoi dis ton livre préféré de chez Talents Hauts, tata Clémentine?
Personnellement, Quatre Filles et Quatre Garçons de Florence Hinckel, une série maintenant publiée en gros pavé, hyper chouette, vivante, vraie, pulsante, acidulée, que j’aurais adoré lire étant ado. C’est quatre filles et quatre garçons qui sont amis, une de ces amitiés d'une intensité et d'une drôlerie forcenée, mais aussi fragile et tendre, une de ces amitiés qu’on ne peut avoir qu’à 15 ans. Ils ont tous des rêves, des problèmes et des comptes à régler, mais ils ont chacun toute l’énergie et la fraîcheur qu’il faut pour leurs contes initiatiques à eux. Ca se passe dans le Sud, et c’est drôle et intelligent et aussi magnifiquement bien construit, je le précise parce que c'est vraiment rare un roman ado dont la construction est aussi rigoureuse.
8) Y a-t-il d’autres maisons comme Talents Hauts?
‘Un peu comme’ Talents Hauts, il y a Rue du Monde. Et plus récemment, La ville brûle. Et de plus petites: Planète Rêvée, des Ronds dans l’O, les Grandes Personnes…
9) T’aurais pas écrit d’autres trucs sur la littérature engagée, toi, sur ce blog?
Si, là, là et là par exemple.
10) Et qu’est-ce qu’on leur souhaite pour leurs dix ans?
Peut-être paradoxalement, un monde où Talents Hauts n’aurait plus besoin d’exister sous sa forme actuelle, j’imagine…
Allez, joyeux anniversaire, Laurence, Mélanie, Justine, et autres complices, et tous les
Merci Clémentine, je suis très flattée. Super article, comme d'habitude, bravo. Et joyeux anniversaire à Talents Hauts, maison d'édition à laquelle je dois beaucoup !
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