En général c'est l'adulte qui compte et c'est les enfants qui se cachent, et ensuite faut faire genre t'as pas du tout vu les petits pieds qui dépassent de dessous le rideau et t'as pas du tout entendu les petits rires étouffés dans la penderie et tu fais 'Oh là là! Mais où sont donc ces garnements? Ils sont très très bien cachés!' pendant trois plombes en retournant toute la maison ('Seraient-ils dans le frigidaire?') jusqu'à ce que tu les 'découvres' et les félicites de leur extraordinaire sens de la dissimulation.
L'adulte caché, eh bien.... ça n'a rien à voir avec ça.
C'est un terme qui est entré dans le vocabulaire de la théorie de la littérature jeunesse en 2008 grâce au livre de Perry Nodelman, The Hidden Adult - mais le concept lui préexistait, c'est simplement qu'il a mis un mot sur la chose.
L'adulte caché, c'est la conception de 'l'être-adulte' qui est distillée à travers le livre pour enfants. Attention, cette figure ne coïncide pas avec l'auteur, ni avec aucun des personnages adultes. C'est une entité beaucoup plus abstraite: une volition adulte, un réseau de représentations qui tisse une idée, plus ou moins synthétique, de ce qu'être adulte signifie.
Et cette notion est évidemment chargée de peurs, de croyances, de désirs pour l'enfant. En fait, ce que Nodelman et beaucoup d'autres soutiennent, c'est que l'adulte caché trahit un désir de s'opposer à l'enfant et à l'enfance, de se comprendre comme intrinsèquement différent, d'exorciser ses démons, on pourrait dire, en faisant de la figure de l'enfant un réceptacle de tout ce qu'on ne veut pas être: innocent, ignorant, naïf, imaginatif, asexué, etc.
L'adulte caché exprime donc une perception de l'adulte par lui-même, et, en creux, une conception de l'enfance. J'ai répété douze mille fois sur ce blog que la littérature jeunesse a pour propriété numéro 1 d'articuler des représentations de la relation entre adulte et enfant; l'adulte caché, c'est ce dont on parle quand on dit 'ce livre exprime le désir de l'adulte de s'adresser à l'enfant comme à un agent politique', par exemple.
Encore une fois, ce n'est pas du tout la même chose que l'auteur; évidemment, l'adulte caché est compris dans l'intentionnalité de l'auteur, mais il la dépasse. L'adulte caché est un mélange plus complexe de diverses notions de l'être-adulte, dont beaucoup sont inconscientes, qui influencent le processus d'écriture, de publication et de réception, et que la critique de la littérature jeunesse permet d'extraire, d'analyser et d'expliquer.
C'est tout pour aujourd'hui! Vendredi on parlera de bibliothérapie.
mercredi 30 janvier 2013
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Passionnant ! Vivement le B :-)
RépondreSupprimerC'est vraiment une notion fascinante; j'adore ce qui se rattache aux "inconscients collectifs"!
RépondreSupprimerMais y a-t-il quand même dans le texte des indices concrets pour repérer cet adulte caché? Des termes particuliers qui seraient utilisés, une façon de présenter les enfants en tant que personnages du livre ou en tant que lecteurs du livre, etc?
Waouh ! Impressionnée je suis !
RépondreSupprimerJe reviens vendredi !
Merci!
RépondreSupprimer@Audrey: oui, Perry Nodelman propose justement des moyens d'explorer la rhétoriques, les champs lexicaux, les manières de s'adresser à l'enfant, etc. C'est souvent en analysant l'idéologie qui se cache derrière tel ou tel mot qu'on distingue cette orientation.
Merci Clémentine pour cette notion! Very interesting! :) Je m'en vais lire Perry Nodelman maintenant!
RépondreSupprimerTon blog est une belle découverte. Je m'abonne !
RépondreSupprimerTon blog est une belle découverte. Je m'abonne !
RépondreSupprimermerci beaucoup!
Supprimer