Par 'temporalité', je veux dire une certaine conscience du
temps; un temps symbolique plutôt que mesurable. Et pourquoi c'est important en
littérature jeunesse? Parce que la littérature jeunesse, selon moi, est
caractérisée par une division temporelle entre adulte et enfant.
'Mais qu'est-ce qu'elle rrraconte celle-là?' |
ACHTUNG! Là je vais vous plonger directement dans les concepts
centraux de ma thèse de doctorat, donc ne prenez rien de ce que je vais dire
pour parole d'évangile. François 1er ne serait pas d'accord.
Alors, vous vous souvenez du E comme Enfance Symbolique? Pour moi, la propriété symbolique centrale de
l'enfance, c'est sa temporalité, caractérisée
par une conscience du futur, des projets, du potentiel, du temps-qui-reste.
Au contraire, l'adulte, qui s'affirme comme omnipotent (vous vous souvenez du A comme Adulte Caché et du O comme Oppression?) se
caractérise par une temporalité opposée, basée sur une conscience du passé, de
l'expérience, des connaissances accumulées: du temps passé.
Mais en fait il est quelle heure? |
Ces différentes imaginations temporelles sont évidemment de
l'ordre du symbolique: il n'y a aucune raison valable de les fondre dans une
durée de temps calculable. Si je parle à une amie de 44 ans, moi qui en ai 24,
nous sommes sur une 'longueur d'ondes temporelle' identique; alors que si je
m'adresse à un enfant de 10 ans, malgré nos 14 ans d'écart (contre 20 avec ma
pote adule), nos temporalités respectives sont différentes. C'est que
culturellement, historiquement, socialement, politiquement, l'enfant et le
concept d'enfance ont été 'habillés' de cette imagination temporelle
spécifiquement centrée sur l'avenir.
Sans vouloir être morbide, il est tout à fait possible que
j'aie en réalité beaucoup plus de 'temps-qui-reste' que ce gamin de 10 ans - il
se pourrait qu'il meure demain et moi dans 60 ans. Mais même si c'est le cas,
il cristallise quand même des notions tels que l'espoir, le potentiel, la
puissance, tandis que l'adulte condense d'autres concepts tels que
l'expérience, la connaissance, la sagesse.
Et là vous dites, 'Euh oui bravo Clémentine, on pourrait
résumer ça en six mots: "Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait".
C'est pour ça que t'es grassement payée à faire trois ans de thèse?'
Ben... oui. Parce qu'aussi étrange que ça puisse paraître,
en critique de la littérature jeunesse cette distinction n'est pas souvent
exprimée en ces termes, surtout quand il est question [attention notion fétiche
de ce blog] du pouvoir de l'adulte [ça y est, elle l'a casé]. Car cette division du concept de temporalité a un énorme impact: elle permet de diviser le concept de pouvoir...
'Diviser le pouvoir? C'est une idée qui ne me plaît pas beaucoup...' |
C'est tout l'objet d'un article que j'ai publié récemment dans la revue universitaire Children's Literature in Education: grâce à cette distinction temporelle, on peut scinder en deux sortes de pouvoirs ce qui n'était auparavant qu'un grand Pouvoir attribué seulement à l'adulte. J'appelle ces deux pouvoirs l'autorité (authority) (pour l'adulte) et la puissance (might) (pour l'enfant)...
...et ça change beaucoup de choses, sans vouloir faire ma meuf ou quoi. Car soudain la perspective d'un enfant puissant jaillit au milieu d'un champ théorique dominé par la dénonciation d'un adulte omnipotent.
Oui? Non? Ne se prononce pas? Allez, à lundi! avec un U comme Urbain - comme promis à la lettre
N...
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