L'onanisme personnagier est très courant chez les écrivains-en-puissance-qui-écriront-un-jour-quand-ils-auront-le-temps. Auquel cas on n'a absolument rien à dire sur ces personnes non-existantes que l'auteur en puissance a totalement inventées. On s'ennuie tellement qu'on a envie de se lancer dans une reproduction de la tapisserie de Bayeux en tissant ensemble ses propres cheveux et les lambeaux de carton de son gobelet vide.
Bref, ce genre de 'conversation' m'étonne toujours parce que je ne comprends pas si c'est moi qui suis anormale, ou tous les autres (hello bâton pour se faire battre). Je tiens donc à poser une question très sincère à vous auteur/es qui passez par là: Etes-vous si attaché/e que ça à vos personnages?
D'après mes discussions avec ma potesse Robin Stevens, qui est très charmante et pas du tout onaniste (enfin du moins pas en face de moi), il appert que je suis peut-être moins 'attachée' à mes personnages que d'autres auteur/es. Je n'ai jamais l'impression qu'ils sont 'réels', ça, c'est sûr, et généralement je n'ai pas le sentiment qu'ils 'prennent les commandes' ou équivalent. Ce n'est pas parce que je suis fondamentalement sans coeur et incapable d'empathie envers un être fictif, je précise, puisque je peux m'attacher énormément aux personnages des romans des autres. Mais les miens?... ben, pas tant que ça.
Il y a peut-être un fond d'autodéfense là-dedans. Pour mon premier roman, enfin, le premier écrit en tant qu''adulte' (à 18 ans), j'étais très attachée à mes personnages et à mon histoire, et d'ailleurs je le suis toujours, et j'ai toujours perçu le fait qu'il ne se soit jamais vendu comme un énorme échec. Mais mes romans actuels, pas vraiment. S'ils se vendent, c'est super, sinon, je suis triste évidemment, mais plutôt parce que j'ai passé du temps à les écrire et que le temps se fait rare ces jours-ci.
Je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est suicidaire d'être 'attaché' à ses personnages. Peut-être que les gens qui liront ton livre n'en auront rien à faire des personnages, ou peut-être qu'ils n'en auront pas assez à faire à ton goût. Peut-être que le livre aura du succès, peut-être pas - peut-être que l'éditeur t'en commandera un autre, peut-être pas. Si tu avais considéré ces personnages comme des outils littéraires pour cette histoire-ci et pour ce livre-là, tu aurais moins l'impression qu'il a été décidé en place publique que tes enfants sont complètement hideux et tes meilleurs amis absolument débiles. Tu aurais moins l'impression que le monde t'en veut personnellement. Tu comprendrais que pour la plupart des gens, ton univers intérieur est une source de divertissement et/ou de revenus; pas d'identification totale et engloutissante.
Je perçois aussi l'onanisme personnagier et l'attachement à ses propres personnages comme un terrain glissant vers la déblatération publique de tes fantasmes les plus secrets. Il faut un peu de distance critique, il me semble. Si tu entretiens une profonde dévotion pour tes personnages, il y a des chances que tu attendes qu'ils te 'dictent' des aventures passionnées avec des triangles amoureux et une héroïne qui est étrangement semblable à toi et un héros qui est étrangement semblable à ton père (ou vice-versa).
J'ai peut-être tort, mais pour moi, plus on est 'attaché' à ses personnages, plus on risque de les 'laisser faire ce qu'ils veulent', de les 'laisser nous surprendre'. On entend ce genre de trucs très souvent: 'Tout à coup ce personnage a pris le contrôle,' etc. On considère ça comme une bonne chose, comme la preuve de l'existence d'une espèce de muse bienveillante. Pour moi ça sonne plutôt comme une pratique d'écriture un peu brouillonne, mais bon, je suis ouverte sur ce point, parce qu'il y a des gens que je respecte hautement qui ont l'air de se laisser aller à ce genre de déclarations.
Quoi qu'il en soit, un peu d'objectivité envers ses personnages ne peut pas faire de mal. Les traiter un peu plus comme des outils narratifs et un peu moins comme des vrais humains réels aide sans doute à gérer, plus tard, les requêtes de ton éditeur, qui voudra zapper un personnage secondaire ou modifier complètement les choix du personnage principal, et qui s'en tamponnera le coquillard quand tu lui opposeras l'argument que 'mais c'est comme ça qu'il est, c'est sa personnalité' avec pleurnicheries à la clef. J'ai dû retirer tellement de personnages secondaires et modifier tellement de trajectoires des personnages principaux que j'ai du mal, maintenant, à les percevoir comme entiers et 'réels' - ils restent des objets pour moi.
Bref, ça m'intéresserait de savoir ce que vous autres auteur/es en pensez. Combien d'entre vous se dénoncent comme onanistes forcenés? Combien d'entre vous peuvent honnêtement dire qu'ils ont 'l'impression que leurs personnages sont réels', ou équivalent? Est-ce que vous êtes tellement 'attachés' que vous rêvez d'eux, ou que vous pensez à eux quand vous n'êtes pas en train d'écrire? Comment théoriseriez-vous cet attachement? (là c'est l'universitaire qui parle...) Une bise pour chaque commentaire pertinent.
Juste pour la bise : non, je ne crois pas onanismer sur mes personnages... je n'en ai jamais rêvé (mais je ne rêve jamais), et je n'y pense pas spécialement quand je ne bosse pas (enfin, sauf sur les mails en retard, ou les deadlines qui approchent, mais c'est plus l'éditeur qui me hante alors). Après, j'ai un attachement plus marqué pour certains, genre le premier (L'épouvantail) ou Sibylle, parce que c'est une histoire qui dure, mais rien de pathologique... enfin je crois... Qu'en pensez-vous docteur ?
RépondreSupprimerMoi aussi j'ai des personnages que je préfère, sans être obsédée. A mon avis toi tu n'es pas du tout pathologique!
SupprimerAlors c'est assez amusant de remarquer que l'attachement à un personnage fictif, comme ton premier exemple de Pygmalion, est symptomatique de tout processus créatif, le peintre ou l'illustrateur pourra éprouver tout autant d’affecte pour un canon de personnage récurent ou le monde imaginaire qu’il désire faire évoluer à travers son œuvre avec un sens du détail qui fleurte souvent avec le génie et la folie. Du coup je pense que c’est cet attachement démesuré qui le motive, quitte à se détruire si le lecteur, le spectateur, en somme le publique, boude la création.
RépondreSupprimerJe suis d’avis que les œuvres doivent parler d’une manière ou d’une autre, de l’artiste, j’entends indirectement, car s’efforcer de créer ce qui plait dans un but seulement mercantile ne peut qu’engendrer des choses sans saveur qui pataugent inexorablement dans une mélasse de boue ambiante.
Bon après je partage tout à fait ton ressentiment sur les crea qui te parlent de leurs personnages pendant des plombes, à te faire regretter les pétillants épisodes de Derrick ! Le pire c’est que je suis conscient d’avoir tout autant soulé mes amis avec les miens, au final on n’en tire aucun bénéfice, « l'onanisme personnagier » c’est une chose à garder pour soi ^^
Merci pour ce commentaire (mais qui êtes-vous, anonyme?), je suis d'accord dans l'ensemble mais je ne pense pas que l'attachement aux personnages mène forcément à un livre plus 'vrai'.
SupprimerL'idée de l'association entre le côté destructeur et l'attachement aux personnages est très intéressante...
Je ne pense pas que je donne dans l'onanisme personnagier, parce que je n'aime pas verbaliser à propos de mes personnages.
RépondreSupprimerMais j'y suis très attachée pendant que j'écris, parce que je me glisse dans leur peau. Du coup, je me projette et je vois les choses différemment par leurs yeux en jouant leur rôle, comme à travers une caméra intérieure. J'en rêve, ils m'obsèdent, je les écoute, mais je sais qu'ils ne sont que l'expression de mon talent d'actrice.
En tout cas, ça ne m'empêche pas de les sacrifier et de prendre de la distance par la suite, quand j'ai finien dépit de l'affection que j'éprouve pour eux.
En tout cas, très bel article ;-)