lundi 30 octobre 2017

Ecriture créative, Session 3: La 'voix'

Episode précédent ici!




La voix d'un texte. Qu'est-ce que c'est? A quoi ça sert? Ca mange quoi l'hiver, comme dit ma grand mère? Mystère. Dans les milieux anglosaxonneux, on entend souvent ce mantra magique: en tant qu'auteur/e, 'Il faut trouver ta voix.'

Voi/e.x

Où ça? Comment? Pourquoi? C'était tout l'objet de cette session-là.

'La voix' est un concept assez particulier de par son omniprésence dans le jargon de l'écriture créative... contrebalancée par sa relative absence dans le jargon de l'analyse littéraire. L'un des objectifs de cette session, pour moi, était donc de parler de ce concept de manière critique autant que de manière constructive.

Préparation

Les étudiantes devaient lire et prendre des notes sur: (comme toujours le vert est en accès ouvert)
  • ‘Persona, Tone, and Voice’ et ‘Point of view’, in Abrams, M.H. (ed.) (2005). A Glossary of Literary Terms. Boston: Wadsworth. Link
  • Bowden, D. (1995). The Rise of a Metaphor: "Voice" in Composition Pedagogy. Rhetoric Review, 14(1), 173-188. Link
Ces deux lectures étaient censées leur donner une vue d'ensemble du grand problème dont on allait parler, c'est-à-dire du fait qu'il est très difficile de définir 'la voix', et que dans les pédagogies liées à l'apprentissage de l'écriture créative c'est un concept particulièrement vague et parfois idéologiquement douteux, qui a sa propre histoire.

Elles devaient également lire un document avec une compilation de plusieurs versions du Petit Chaperon Rouge: celui de Perrault, celui des Grimms, celui de Roald Dahl, celui d'Angela Carter dans The Bloody Chamber, et un dessin animé de l'époque soviétique. Ceci était pour préparer l'atelier.

Les lectures additionnelles étaient:
  • Chapter on ‘Voice’ in Genette, G. 1983. Narrative discourse: An essay in method. Cornell University Press. Link
  • Nielsen, H. 2004. The Impersonal Voice in First-Person Narrative Fiction. Narrative, 12(2), 133-150. Link
  • Nikolajeva, M., 1998. Exit Children's literature?. The Lion and the Unicorn22(2), pp.221-236. Link
  • Nodelman, Perry. "The other: Orientalism, colonialism, and children's literature." Children's Literature Association Quarterly 17, no. 1 (1992): 29-35. Link
  • Ross, S. (1979). "Voice" in Narrative Texts: The Example of As I Lay Dying. PMLA, 94(2), 300-310. Link
  • Wall, B. and Crevecoeur, Y., 2016. The Narrator's Voice: The Dilemma Of Children's Fiction. Springer.
  • In the Routledge Encyclopedia of Narrative Theory: Address; Narrator; Tense and Narrative; Voice
Pas de lecture guidée cette semaine (ouf, parce que c'est grave relou d'écrire l'article de blog ensuite...)

Par contre, elles devaient préparer des réponses aux trois questions suivantes:
D'après vos lectures et votre propre opinion, proposez une réponse argumentée aux trois questions suivantes:

- Comment définir la 'voix' d'un texte littéraire?
- A quelles caractéristiques du texte doit-on prêter attention si l'on cherche à explorer sa 'voix'?
- Trouvez un exemple d'un personnage dans un livre pour enfants ou pour adultes dont la 'voix' vous interpelle particulièrement, et expliquez pourquoi.
Première partie de la session

D'abord, je suis arrivée avec dans les mains une tourelle de bouquins pour enfants et ados, que j'ai distribués à toutes les étudiantes pour les forcer à bouquiner. Je suis Cruella de Vil en pire.

Ensuite on a commencé.

Comme d'habitude, la première partie de la session, qui était censée durer 25 minutes, a duré presque 50 minutes, parce que ma vision du time management est apparemment la même que celle du lapin blanc d'Alice aux Pays des Merveilles.

moi, avec un plus joli gilet
Cela dit, c'est aussi totalement la faute des étudiantes, car elles disent des trucs nombreux et intéressants, au lieu de se taire en croisant les bras et en regardant leurs téléphones.

Petit écart, mais je précise que très franchement, je suis convaincue que l'ambiance dans ce cours doit quelque chose à l'interdiction des écrans. Dans tous les autres que je dispense, les discussions sont assez mollassonnes et je dois préparer énormément de matériel, motiver à fond les étudiant/es, et leur tirer les phrases du nez comme un haleur de la Volga. Dans ce cours-là, ce n'est pas le cas. Et je ne peux pas l'attribuer seulement au fait que l'écriture, c'est trop cool et intéressant: déso, mais mes autres cours sont intéressants AUSSI! (non mais oh!) et c'est sensiblement le même format pour la discussion des lectures imposées.

Mais dans les autres modules, elles sont toutes constamment en double voire triple appel téléphone-ordinateur-tableau, et malgré le formidable cerveau multifonctions que les parents des Millennials leur ont tricoté il y a de cela une vingtaine d'années, ça ne fait pas durer les débats très longtemps.

J'en déduis qu'en l'absence de Whatsappfacebooktwitterinstagramgmailhotmailebayetsy, la seule chose à faire de son esprit, c'est de se concentrer, et franchement ça vaut carrément la peine, on dirait.

Bref, le premier débat a duré 50 minutes.

Il s'agissait simplement de parler des trois questions que je leur avais demandé de préparer, dans l'ordre, après une courte discussion (10 minutes) en binômes. 

Tiens, à la pause j'ai fait une petite photo du tableau pour vous donner une idée de mes spider diagrams (rien de révolutionnaire hein, mais ça illustre)

en gros le Powerpoint est projeté sur un tableau blanc et je barbouille autour

Je précise que s'il a l'air de faire très sombre, c'est que c'était le jour du Soleil Rouge, c'est-à-dire de l'ouragan Ophélia, apportant dans ses robes des poussières du Sahara qui nous ont un peu fait penser que la fin du monde était encore plus proche que quand Trump confond le bouton nucléaire avec le pouët pouët de son mini-tractopelle Toys R'Us.

y a comme un thème qui se développe dans ce billet de blog...
Ràv avec la choucroute, mais je ne résiste pas à l'envie de partager cet article du Yorkpress de ce jour-là, tout simplement intitulé:


Ce qui était en effet l'objet de tout un tas de recherches google à l'heure exacte où on avait cours d'écriture créative.

Bref, retournons à nos moutons: la Voix. Petit résumé de nos débats.

Qu'est-ce que c'est exactement, la voix? On a commencé, comme souvent, avec des synonymes, des considérations générales. Est-ce que ce ne serait pas un peu comme le style? Est-ce que c'est la même chose que le ton? Est-ce que ça ne serait pas la même chose que 'la narration'? A ce moment-là, on peut en parler de manière technique, à l'aide d'une analyse purement stylistique ou narratologique.

A moins que la voix, ce soit un point de vue, un message. Alors il faut passer à la critique idéologique, et dans le cas de la littérature jeunesse, parler aussi de didactique sans doute... On parle un peu du mouvement #OwnVoices: la campagne sur Twitter qui vise à faire en sorte que des auteur/es issu/es de minorités expriment leurs voix et racontent leurs propres histoires, pour éviter que d'autres auteur/es - plus privilégiés - ne se fassent les ventriloques, trop imparfaits, de ce qui ne leur appartient pas. La voix, en littérature - et particulièrement ces jours-ci en littérature jeunesse - est un objet politique sensible. Toute 'voix' d'auteur/e est socialement, politiquement, historiquement, etc. située. Comment faire pour que chaque voix soit entendue?

(Cet écart plus engagé dure très peu de temps: la discussion revient très vite sur une définition moins politique de la 'voix'. C'est quelque chose sur lequel je vais devoir travailler au fil des mois: ne pas perdre de vue la dimension politique de l'écriture créative.)

F. dit: la voix, elle a une certaine 'uniqueness': un caractère unique. Unique à qui exactement? La voix, peut-être que c'est un peu comme une personnalité, comme une identité d'auteur/e.

K. soutient qu'une auteure qu'elle retrouve de livre en livre, elle l'aime parce qu'elle a la même voix. Cette voix, dans ce cas-là, c'est peut-être ce qui réconforte, qui répond aux attentes. 

J'ajoute: Victor Watson, analysant les séries pour la jeunesse, dit que toute bonne série se doit de faire pénétrer le lectorat, à chaque nouveau livre, dans 'une chambre remplie d'amis'. Alors ce serait juste ça, la voix? Quelque chose qui permet une intimité, des retrouvailles de livre en livre dans tous les cas?
 
Mais est-ce nécessairement le cas? Est-ce qu'il y a des auteur/es qui changent radicalement de 'voix' de livre en livre?

Chaque personnage a sa voix, conviennent les étudiantes. Mais est-ce que toutes ces voix coalescent en une seule, qui définirait celle d'un texte?

Ou alors est-ce que quand on parle de 'voix', en fait, on ne fait que parler de la voix narrative?

A qui donc - ou à quoi - appartient la voix?

On fait un diagramme au tableau (visible sur la photo), qu'on peut résumer ainsi:

- Si 'la voix' est une propriété de l'auteur/e, alors elle devrait 'se retrouver' dans toutes ses oeuvres, y compris celles où il y a plusieurs narrateurs à la fois, ou des tas de personnages.

- Si 'la voix' appartient au narrateur, alors on pourrait imaginer une situation où deux auteur/es, écrivant à quatre mains un livre avec un seul narrateur, aient exprimé à deux... une seule voix.

- Et si c'est le narrateur, voire les personnages, alors est-ce qu'il peut y avoir plusieurs voix en un seul roman?

- Et même s'il n'y a pas plusieurs personnages, peut-on imaginer quand même un roman polyphonique? (cf. Bakhtin, que je rajoute subrepticement mais sans pouvoir vraiment en parler - pas le temps d'aborder une théorisation aussi compliquée...)

S. propose son exemple de voix qui l'a particulièrement frappée: le héros de The Shock of the Fall de Nathan Filer (un livre pour adultes) dont la 'voix enfantine' est très forte. Je l'interroge: comment savais-tu que c'était une voix enfantine? 'Je le savais, c'est tout...' Mais pourquoi? Difficile de le dire exactement...

La voix, cette chose typique du 'I know it when I see it', ce truc qui 'goes without saying'. Je le savais, c'est tout.

Tiens, autre cas, donc: un narrateur qui est enfant par moments et adulte par endroits... est-ce que la 'voix' du livre entier change alors, selon l'âge chronologique du narrateur?

P. propose son exemple de voix qui l'a particulièrement frappée: le narrateur de La voleuse de livres, de Markus Zusak, qui est La Mort. P. trouve que La Mort est une voix particulièrement forte parce qu'elle est 'détachée', 'ironique'. On convient que la meilleure manière de parler d'une voix, dans un premier temps, est d'en parler comme on parlerait d'une personne. C'est ce qui semble le plus naturel, même quand on parle, paradoxalement, de tout un texte...

Mais où exactement se trouve cette voix, textuellement? Comment est-elle construite? Peut-être à travers un lexique des émotions volontairement appauvri? P. ne se souvient pas (et moi non plus, parce que ma lecture de La voleuse remonte à quelques années).

N. tente à son tour de nous parler de 'la voix' qu'elle a aimée (hélas je n'ai pas noté le titre du bouquin et je ne m'en souviens pas) - elle était, nous dit-elle, 'snarky' (sarcastique, mordante) et intime, mais aussi ravagée, brisée par un événement passé dans la vie de l'héroïne. Moi: OK, et alors comment cela s'exprime, tout cet appareil de caractéristiques, textuellement? On arrive à une petite liste: des répétitions, des ellipses, des phrases fragmentées ou écourtées, des changements brusques de temporalité... 

Est-ce que la voix, c'est la somme de tout cela, ou alors tout cela... et encore un peu plus encore...?

Depuis le début on dit beaucoup de choses comme: c'est mystérieux; c'est un peu magique; c'est difficile de dire exactement où...; mais quand c'est là, on le sait...

On a clos la discussion en réitérant, de mon côté, que quand on parle de 'voix' il faut être bien consciente que c'est un concept très flottant, qui n'a pas véritablement d'équivalent en analyse littéraire stricto sensu, et que donc il faut l'exploiter seulement dans la mesure où il peut nous être utile en tant qu'auteures. 

Mieux comprendre ce que cela veut dire quand quelqu'un dit 'j'adore la voix de ce texte,' c'est important quand on veut écrire. Les éditeurs, les agent/es vont souvent dire: 'j'ai immédiatement accroché parce que la voix était tellement unique' - et les lecteurs et les lectrices reprennent souvent ce terme aussi - alors autant essayer de l'analyser, tout en restant critique, évidemment.

Lire comme un écrivain

Tout cela a pris, donc, beaucoup trop de temps, même si c'était plutôt utile pour défricher très largement le terrain. Il a fallu faire la pause alors que j'avais prévu de commencer les ateliers juste après la pause. FML. 

Mais bon, avant les ateliers, il fallait passer à des exemples concrets, alors je me suis dépêchée de commencer l'exercice suivant. J'ai donné à chaque étudiante deux-trois pages d'un roman contemporain, généralement ado, et elles devaient chacune le lire en silence avant de répondre aux questions suivantes en binôme, puis devant tout le groupe:
- Parlez de la voix du texte. Comment la définiriez-vous? Essayez d'y réfléchir d'abord en termes généraux, comme si c'était une personne - est-elle amicale, chaleureuse, froide, sévère? A quelle personne imaginez-vous qu'elle appartiennent?
- Identifiez et lisez tous les processus formels par lesquels cette voix se construit: perspective narrative, temps, procédés stylistiques récurrents, sonorité, rythme, registre de langue...
- Lire comme un écrivain: quels sont les 3 éléments dont vous vous inspireriez dans votre propre écriture, concernant la construction de cette voix?
- Quelles sont les choses que vous feriez différemment, ou dont vous pensez qu'elles ne sont pas très solides? 
Les textes distribués étaient:
  • Sita Brahmachari, Jasmine Skies (London: Macmillan, 2012)
    Anthony McGowan, Henry Tumour (London: Random, 2007)
    John Newman, Mimi (London: Walker, 2010)
  • Philippa Pearce, Tom’s Midnight Garden (Oxford: Oxford University Press, 1958)
  • Maria Turtschaninoff, Maresi (translated by Annie Prime, London: Pushkin, 2016)
  • Marcus Sedgwick, Revolver (London: Orion, 2009)
  • Dave Shelton, A Boy and a Bear in a Boat (London: David Fickling, 2013)
Alors là autant vous dire que la discussion a duré exactement cinq millisecondes parce que j'étais hystérique à cause du temps. Mais on a quand même eu des constats assez intéressants je trouve. Moi, cela m'a permis de voir que c'était compliqué, même après l'heure de brainstorming qu'on avait faite, de vraiment leur faire identifier précisément ce qu'elles voulaient dire quand elles définissaient la voix, et où ça se trouvait. Souvent on tournait un peu en rond: elles disaient des choses comme 'c'est une voix froide', et moi 'pourquoi?' et elles 'parce qu'elle est pas très chaleureuse', et moi 'comment tu le sais?' et elles 'parce qu'elle est assez dure', enfin j'exagère un peu mais vous voyez l'idée: il reste de grosses difficultés à l'analyse de texte, à l'examen précis et minutieux de la mécanique du texte.

Il faut que je précise à mon auditoire français que l'analyse de texte très précise type commentaire composé n'est pas vachement intense en Grande-Bretagne et qu'il est assez normal que ce soit difficile. Mais je pense que du coup j'avais entassé beaucoup trop de choses dans ce cours-là, c'était un peu intense.

En plus je pense que je les avais un peu embrouillées en ne répondant pas fermement à la question de savoir à qui 'la voix' appartient précisément (parce que, selon moi, il n'y a pas de réponse, bien sûr), et donc beaucoup d'entre elles faisaient principalement de l'analyse de la perspective narrative. Cela dit,  de ce point de vue-là c'était plutôt positif parce que j'ai pu voir que ce sur quoi on avait travaillé la dernière fois (identifier déjà si c'est à la première personne, à la troisième, externe, interne, omniscient etc.) était bien rentré, et devenu presque un réflexe déjà.

Ateliers

J'ai donc dit pour la cent neuvième fois de la journée 'je suis en retard, en retard, en retard!' et on est passées aux ateliers.

L'exercice de cette semaine-là est un grand classique des ateliers d'écriture: la réécriture du Petit Chaperon Rouge. "Aaaah!!! C'était donc à cela que servait la lecture des réécritures!" se sont exclamées toutes mes étudiantes en battant des mains de joie.

(Faux: il n'y a eu strictement aucune réaction de surprise, mais dans mes fantasmes mes cours résonnent de rires et d'applaudissements alors laissez-moi rêver OK.)

J'avais imaginé cet exercice un peu dans la lignée de l'exercice de la fois précédente, c'est-à-dire avec une contrainte de perspective narrative et de personnage, à laquelle j'avais aussi ajoutée une contrainte de temps du récit.

L'idée étant d'observer de manière très concrète les effets de cette triple contrainte sur la création d'une histoire et, potentiellement, de mieux identifier des procédés d'écriture qui orientent notre plume plutôt vers un type de voix ou vers un autre.

Chacune des étudiantes s'est vu donner un petit bout de papier contenant 3 mots:
- Un nom de personnage (Chaperon, loup, grand-mère ou bûcheron, + un omniscient)
- Une perspective narrative (1e, 2e, 3e du singulier et du pluriel); + une omnisciente
- Un temps (futur, passé, présent) (évidemment en anglais on n'a pas de distinction passé simple/ passé composé)
Il y en avait certaines d'assez 'simples' et d'autres évidemment plus loufoques, encore une fois cette fameuse 2e personne qui fascine beaucoup. Aucune consigne par contre quant aux paramètres de la réécriture, qui pouvait être de type conte de fées, ou réactualisée, ou tout ce qu'elles voulaient. 

Elles avaient 15 minutes pour écrire. 

Lecture et feedback


Pendant qu'elles écrivent, moi je bosse dans mon coin, mais après, pendant qu'elles débriefent avec leur voisine d'à-côté, je passe derrière elles et je lis par-dessus leurs épaules avec l'air de curiosité malsaine de Mrs Dursley quand elle étire le cou pour regarder par-dessus les clôtures des jardins des voisins. Cela me permet de dénoncer cruellement telle ou telle écrivaine qui aurait griffonné quelque chose dont j'aimerais qu'elle parle à tout le groupe dans la session de feedback générale.

En l'occurrence, l'une d'entre elles avait tricoté un texte d'une forte chouettitude pour le but qui nous intéressait, c'est-à-dire une voix particulièrement croquignolesque (n'est-ce pas monsieur le président?) suivant la consigne de 'Loup, 2e personne, passé.' Bon, alors en fait elle s'était un peu embrouillée parce qu'elle avait écrit au loup comme destinataire de cette 2e personne (façon 'toi, loup...') mais je ne lui en ai pas tenu rigueur, parce que c'était parfait comme exemple au groupe.

Elle avait écrit un texte (que je ne posterai pas ici évidemment) où le loup était comme mis en accusation, par un narrateur non-identifié, d'avoir commis les crimes dont il est question dans le conte. Donc à grands renforts de 'oui, toi, loup, qui as fait...; nous savons que tu as...; et ensuite que tu as...; n'essaie pas de nier que...; que réponds-tu à cela?' 'La voix', si tant est que cette chose existe, pouvait aisément être décrite comme sentencieuse, accusatrice, puissante, etc.; et ensuite il était tout aussi possible d'expliquer textuellement où les effets avaient lieu qui étaient particulièrement marquants: le 'choix' de la 2e personne, les questions rhétoriques, les impératifs, etc.

Il y a eu d'autres discussions assez intéressantes sur les effets produits par la consigne, mais ensuite il était tellement temps de partir que je n'ai même pas pu leur parler de leurs évaluations; j'ai dû reporter cela à la semaine d'après, et ça m'a mangé 20 minutes de la session suivante (je vous en reparlerai la semaine prochaine).

Ma conclusion générale c'est que cette session s'est passée pas trop mal mais que le concept reste trop vague pour être véritablement 'attrapable' en 110 minutes.

On n'a pas vraiment eu le temps de s'étaler sur la partie critique qui m'intéressait aussi beaucoup - 'pourquoi "la voix" est-il un concept si dominant dans les cours d'écriture créative?' - particulièrement dans ce que cela indique des idéaux d'originalité, d'individualité, d'identité, mais aussi de positionnement social et politique, et aussi d'inspiration et de 'génie' naturel, qui sont tellement forts dans les mythes entourant l'auteur et l'acte de création. Là on est restés dans des remarques utiles mais assez formelles et on n'a pas vraiment creusé ces aspects plus intéressants d'un point de vue théorique.

Par contre d'un point de vue pratique, je crois que l'exercice s'est bien passé. Trois étudiantes ont ensuite tapé leurs textes à l'ordinateur et me les ont envoyés, donc je les ai mis sur notre plate-forme en ligne. Dans les semaines à venir j'aimerais bien créer une plus large banque de textes, mais ça me paraît assez illusoire d'en espérer beaucoup...

La prochaine fois, il sera question de style, en particulier d'oralité et de sonorités.

lundi 23 octobre 2017

Ecriture créative, Session 2: Personnages et caractérisation

Episode précédent ici.


Dans cette deuxième session (la première proprement dite si on compte la toute-première surtout comme une introduction), on travaille sur les personnages et la caractérisation (nb je traduis ainsi le mot characterisation, mais peut-être ai-je tort? disez-moi si tu sais mieux).

Il y a plusieurs raisons à cela. Je pense qu'il est assez ordinaire de procéder ainsi dans les cours d'écriture créative, et je dirais que c'est un choix d'autant plus pertinent en LJ. La littérature jeunesse est une catégorie de texte très incarnée - bien qu'on puisse débattre infiniment du fait qu'elle soit plus character-led (menée par le personnage) que story-led (menée par l'intrigue), ou inversement.

Faire son entrée en LJ en réfléchissant immédiatement à l'incarnation - par le personnage, puis par la 'voix' dans la session 3 - fait sens, du moins il me semble: on commence de l'intérieur, pour ainsi dire, pour 'pousser' vers l'extérieur. Commencer par les structures me semblerait une approche plus sèche et potentiellement plus à risque de donner des personnages en carton.

Préparation

Les étudiantes devaient lire le court texte suivant:
  •  ‘Characterisation as a narrative issue’ (p.171) in Nikolajeva, Maria. (1996) ‘Narrative theory and children’s literature’. In Peter Hunt (ed.) International Companion Encyclopedia to Children’s Literature, London: Routledge, pp.166-178. 
Vous avez du bol, il existe en version pirate: la voici. (Je n'ai en général pas de remords à pointer vers des versions pirate des textes universitaires car le système d'édition académique est un grand racket généralisé et il est bien évident que strictement aucun/e des auteur/es des textes dans ce grand bouquin n'a jamais touché un centime pour le travail effectué. Il est d'ailleurs fréquent que ce soient  les universitaires eux-mêmes qui fuitent leurs propres textes.)

vue d'artiste du système mondial de la publication universitaire
 Elles devaient également effectuer un guided reading, une lecture guidée, de ce texte, donnée dans un document séparé. Le guided reading, c'est un peu comme une explication de texte à préparer à l'avance: je leur donne des questions très précises sur le texte, qu'elles doivent préparer à la maison afin de nourrir les discussions. Je ne le fais pas du tout à chaque fois - seulement quand je veux être 100% certaines que les étudiantes lisent en détail les textes préparatoires pour nourrir une discussion de groupe pointue.

Si vous êtes vaguement anglophone je vous conseille vraiment la lecture de ce chapitre. Il est très simple et très efficace en ce qui concerne la caractérisation en LJ. Il commence à dater (on en a parlé avec les étudiantes) mais il pose des bases utiles pour la catégorie LJ, surtout si on exclut les développement des 20 dernières années en jeune adulte.

En plus de cela, il y a une liste de lecture complémentaire, optionnelle - à lire soit après le cours, soit plus tard en préparation de leurs évaluations. J'ai laissé les liens quand ils ne mènent pas à des exemplaires électroniques de notre bibliothèque de la fac (certains sont en accès ouvert, je vous ai indiqué cela en les mettant en vert)
  • Bertills, Y., 2003. Beyond identification: proper names in children's literature. PhD thesis. Link
  • Dijkstra, K., Zwaan, R.A., Graesser, A.C. and Magliano, J.P., 1995. Character and reader emotions in literary texts. Poetics23(1-2), pp.139-157. Link
  • Frow, J., 2014. Character and Person. Oxford: Oxford University Press.
  • Nikolajeva, M., 2002. The rhetoric of character in children's literature. Scarecrow Press.
  • Nikolajeva, M., 2012. Guilt, empathy and the ethical potential of children’s literature. Barnboken – tidskrift för barnlitteraturforskning/Journal of Children's Literature Research, Vol. 35. Link
  • Smith, M. 1995. Engaging Character: Fiction, Emotion and the Cinema. Oxford: Clarendon. 
  • Woloch, A. 2009. The One Versus the Many: Minor Characters and the Space of the Protagonist in the Novel. Princeton: Princeton University Press.
  • Types of literary characters in fiction and nomenclature Link
  • In the Routledge Encyclopedia of Narrative Theory: Actant; Character; Person; Showing vs Telling
l'analyse de MN dans le chapitre est
beaucoup plus détaillé dans ce livre-là
Je précise aussi qu'il y a énormément de littérature en français aussi sur la question du personnage en LJ - je n'ai vraiment pas le temps d'aller retrouver tous les équivalents, mais si quelqu'un veut bien se dévouer pour nous faire une petite liste, soit dans les commentaires soit par message privé, alors je l'ajouterai avec plaisir et gratitude à ce billet! (idem pour les thèmes suivants...)

Première partie de la session

J'ai d'abord commencé par demander aux étudiantes si elles avaient lu pendant la semaine un livre jeunesse, comme il en avait été question dans la session précédente, et un petit nombre d'entre elles l'avaient fait, mais pas toutes. J'ai donc pris note que la prochaine fois, je leur apporterai toute une pile de bouquins pour leur mettre de force entre les mains. Ma cruauté est sans limites.

Ensuite on a attaqué direct avec la lecture guidée.

je sais pas pourquoi mes captures d'écran font un résultat aussi dégueu sorry
Dans mon plan de cours, j'avais prévu 25 minutes pour la lecture guidée. Je peux vous dire que ce fut un bon gros échec parce qu'en réalité ça a pris 50 minutes (!). Il faut dire que mon groupe est vraiment très dynamique et les étudiantes parlent beaucoup, ce qui est ultrachouette et rallonge donc les discussions. Mais il va donc falloir que je revoie un peu mes plans de cours suivants.

Les questions de la lecture guidée étaient les suivantes (les citations se réfèrent au chapitre de Maria Nikolajeva). Je vais mettre en lumière certaines choses qui ont émergé de la discussion.

Tout le long, comme d'habitude, je prenais des notes au tableau sous forme de spider diagram et ajoutais des détails ou des noms/ titres etc.
  • De ‘A distinctive’ à ‘aesthetic function’: quelles sont les raisons que donne Nikolajeva pour justifier l'emploi de protagonistes collectifs en littérature jeunesse? Pouvez-vous en trouver d'autres? 



Dans ce passage Maria Nikolajeva parle de l'usage des protagonistes multiples ou collectifs, dont elle dit que c'est une caractéristique de la LJ traditionnelle alors qu'elle est généralement associée au modernisme en littérature vieillesse.

Juste pour montrer qu'il ne s'agit pas que de 'vieux' livres comme ceux de E. Nesbit ou Enid Blyton, ci-dessous trois romans ados récents dont on dirait qu'il s'agit d'un 'roman choral', ce qui veut dire il me semble plus ou moins la même chose...





On a parlé principalement des raisons didactiques et narratives d'avoir ce des protagonistes multiples en LJ:

- didactiques parce qu'avoir plusieurs personnages principaux permet de distribuer entre eux des traits de caractère différents, et donc potentiellement des 'leçons de vie' différentes, si on se place dans la perspective de la LJ comme ayant une visée fondamentalement éducative (ce qui a toujours été traditionnellement le cas). Il ne s'agit évidemment pas d'une règle à suivre nécessairement mais d'un constat.
- narratives car évidemment, avoir plusieurs personnages principaux permet de distribuer des pans de l'intrigue selon leurs perspectives.

On a également parlé du personnage comme champ d'identification et donc de la possibilité de multiplier ces options d'identification en ayant plusieurs personnages principaux. Ceci avec toute la réserve qu'il faut garder sur le 'but' du personnage de LJ comme point d'identification!

Et puis on a parlé de la possibilité de protagonistes doubles plutôt que multiples, et du cas notamment, assez fréquent en LJ, des jumeaux et jumelles (e.g. A nous deux de Jacqueline Wilson.)

  • Paragraphe commençant par ‘Another common assumption’: Quelles sont les spécificités de la littérature jeunesse dont parle Nikolajeva en référence aux relations entre personnages principaux et secondaires? Pouvez-vous trouver des exemples qui contredisent son modèle?
Les deux grandes suggestions de MN sont, 1) que la LJ contient moins de personnages secondaires que la littérature vieillesse, et 2) qu'on n'a pas ou peu de personnages solitaires.

Ca a été l'occasion de parler du fait que ce chapitre commence à dater: des livres fourmillant de personnages existaient déjà avant Harry Potter, mais depuis, il est d'autant plus généralement accepté qu'il peut y avoir de très nombreux personnages secondaires en LJ. Il faut se rappeler cependant que l'analyse narratologique ne dit évidemment pas, quand elle énonce des grandes règles, que ce n'est 'jamais' le cas autrement - mais dans le cas présent, il était facile de trouver des contre-exemples montrant que la situation avait énormément évolué.

seule au monde
Les étudiantes ont trouvé peu de cas de personnages seuls ou très solitaires en LJ. Il y en a dans les albums (la chenille qui faisait des trous) et plus ou moins en littérature pour les plus grands, mais en cherchant vraiment intensément. Là on s'est mises d'accord que c'était en effet toujours une 'règle' implicite en LJ.

J'en ai profité pour leur dire que dans les ateliers d'écriture que j'ai menés au fil des années, j'ai trouvé qu'il est extrêmement fréquent que des écrivain/es débutant/es fassent des histoires avec des protagonistes très solitaires - alors même que ce n'est pas du tout courant en LJ publiée. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est vraiment une constante: des gens qui par ailleurs écrivent très bien se focalisent entièrement sur un seul personnage enfantin ou ado, ne lui donnent aucun/e ami/e, et créent parfois quelque chose d'étouffant ou de fondamentalement isolant pour le lecteur.

Je ne veux surtout pas dire que c'est interdit, mais ça vaut la peine de réfléchir aux réflexes qu'on peut avoir en tant qu'auteur/e, surtout quand ils semblent partagés par beaucoup d'autres débutant/es mais mal accueillis par l'édition traditionnelle.
  • Paragraphe commençant par ‘Narrative theory also offers’: Cherchez les termes ‘flat-round’ (plat-rond) et ‘static-dynamic’ (statique-dynamique). Quelles nuances Nikolajeva apporte-t-elle à ce modèle, et quelle autre distinction propose-t-elle?
Ces termes sont souvent employés dans l'analyse et la création de personnages et ils sont assez auto-explicatifs. Le personnage 'plat' n'a pas de relief ou de subtilité; il a par exemple un seul trait de caractère. Le personnage 'rond' est plus sophistiqué, avec des zones d'ombre. La deuxième distinction s'effectue de manière chronologique: le personnage 'statique' ne change pas au cours de l'histoire; le personnage 'dynamique' change. 

Dudley Dursley, personnage qui arrive à être plat tout en étant rond
Ce que propose MN, c'est qu'en LJ il ne faut pas attribuer trop vite une valeur qualitative à ces étiquettes, car il peut y avoir d'excellentes raisons narratives d'avoir toute une tribu de personnages 'plats'. On en a pas mal parlé et donné des exemples (Harry Potter est une mine, comme toujours). On a aussi discuté du fait qu'un personnage 'plat' n'est pas nécessairement 'statique', ni un personnage 'rond' 'dynamique': encore une fois, l'une des caractéristiques se déploie au fil de l'intrigue alors que l'autre indique le degré de subtilité d'une personnalité.

MN propose aussi une autre distinction, particulièrement intense en LJ, au sein de la catégorie 'personnage dynamique': entre un personnage qui change de manière biologique (il grandit), et qui change de manière éthique ou psychologique (il mûrit). 

Ca nous a donné l'occasion d'introduire le terme de Bildungsroman, le roman d'apprentissage, que seule une étudiante connaissait déjà, et qui tend à être pris comme caractéristique de la LJ.

  • De ‘One of the most profound problems’ à ‘this transparency’: expliquer le problème ontologique des personnages de fiction en résumant la distinction entre approches sémiotiques et mimétiques du personnage. Montrer pourquoi cette distinction est problématique quand un livre s'adresse à des enfants.
Je passe vite là-dessus parce que c'est assez technique - l'approche mimétique considère le personnage comme une personne, l'approche sémiotique comme simplement un système de signes.

le dernier bouquin de Maria
C'est compliqué en LJ, dit MN, parce que les pratiques de médiation du livre jeunesse cultivent hautement la vision d'un personnage comme si c'était une personne réelle; de plus, l'enfant étant la plupart du temps un lecteur novice (un terme que MN utilise dans son livre plus récent), il n'est pas forcément expert de tous les paramètres du pacte fictionnel.

Ce qui est le plus important là-dedans en ce qui nous concerne, c'est que les méthodes de caractérisation, de construction de personnage, vont influencer la perception du lecteur d'un côté ou de l'autre de cette distinction.
  • Paragraphe commençant par ‘The main characterisation devices’: Expliquer la tension entre discours autorial et discours figural. Résumer les 5 spécificités que Nikolajeva identifie en LJ comme conditionnant particulièrement cette tension. 

Ici on arrive à la grande distinction, célèbre dans tous les cours d'écriture à travers le monde, entre 'montrer' et 'dire' (showing/ telling). 

Pour ceuzécelles qui n'auraient jamais rencontré cette distinction auparavant: le 'show, don't tell' est pour tout/e auteur/e débutant/e la magistrale et parfois stressante injonction à ne pas dire (décrire/expliciter) un élément de caractérisation lorsque l'on peut le montrer

Par exemple, banalement, au lieu de dire qu'un personnage est bordélique, négligé et se laisse aller, on peut le montrer dans sa chambre qui est en bordel, pleine de boîtes de pizzas vides, et avec un tas de calbutes dégueulasses sur le sol.

si tu veux en savoir plus, demande au Google et il se fera un plaisir de te répondre de partout
Attention, cette injonction est évidemment sujette à critique, comme on en a beaucoup discuté avec les étudiantes. C'est l'un des grands impératifs du creative writing à l'anglo-saxonne, mais il n'a rien de neutre - on peut notamment lier son existence à la 'compétition' historique entre le livre et le cinéma! - et on peut le prendre en compte sans pour autant se sentir lié à lui pour toujours.

Pour moi le 'show, don't tell' a surtout de la valeur en tant qu'il autorise une réflexivité sur sa propre écriture - il nous oblige à nous demander comment est notre caractérisation, et si elle pourrait être autre.

C'est comme quand Stephen King te dit qu'il faut couper tous les adverbes et les adjectifs: ça a le mérite de te faire prendre conscience du nombre d'adverbes et d'adjectifs que tu utilises et de te demander pourquoi, mais faudrait être tristement stupide pour le prendre au mot.

après t'enlèves tous les autres mots et tu te retrouves avec un seul mot c'est un peu problématique
MN montre qu'il y a une tradition du discours autorial ('dire') en LJ, particulièrement par le biais de narrateurs externes, et particulièrement dans les 5 situations suivantes: la LJ plutôt ancienne que contemporaine; plutôt dans les livres où l'action/ l'intrigue prime; plutôt dans les intrigues formulaïques que psychologiques; plutôt pour les plus jeunes que pour les plus grands; et enfin, tout cela s'effectue le plus souvent par l'emploi d'un narrateur omniscient.
  • Paragraphe commençant par ‘External orientation’: Quelles sont les raisons qu'invoque Nikolajeva à l'utilisation de la caractérisation externe en LJ?
Là ce qui était important pour moi c'était de parler, encore une fois, du fait qu'il n'est pas nécessaire de déplorer l'usage de la caractérisation externe, 'autoriale' (du 'dire') en LJ - parce qu'elle peut évidemment être utile, qu'elle est fondatrice de la catégorie de textes dite 'de jeunesse', qu'elle peut correspondre à une attente de genre, etc.
  • Paragraphe commençant par ‘Yet descriptions can also be figural’: Quel exemple Nikolajeva donne-t-elle ici de la caractérisation indirecte? Pouvez-vous en trouver un autre? Pourquoi dit-elle qu'il y a un potentiel à la fois subversif et didactique dans la tension entre discours autorial et figural? 
Je passe sur la dernière question. C'était très important ici de trouver des exemples de caractérisation indirecte, parce que ça allait faire partie de l'atelier d'écriture de la 2e heure.

La caractérisation indirecte, c'est, donc, tout ce qui donne des informations sur un personnage sans avoir recours à une énonciation explicite des caractéristiques du personnage. (Encore une fois, sorry si c'est évident, mais en GB ce n'est pas forcément ce qu'on apprend à l'école.)

L'exemple donné par MN est la description d'un personnage par un autre, qui permet d'avoir des informations non seulement sur le regardé, mais aussi, évidemment, sur le regardant.

Les étudiantes ont trouvé d'autres possibilités de caractérisation indirecte:

dialogue; manière dont un personnage traite un autre personnage; hobbies; apparence, dont fringues; actions; histoire personnelle; pensées; effets physiques de telle ou telle émotion ou pensée.

On a ensuite réutilisé ces contraintes dans l'atelier (voir partie suivante).

Je vais sauter les deux questions suivantes parce qu'elles sont très techniques mais les voilà pour ceuzécelles que ça intéresse, vous pourrez vous auto-quizzer:
  • Paragraphe commençant par ‘Devices such as direct and reported speech’: Qu'est-ce que Nikolajeva identifie comme le rôle du narrateur (et son potentiel pouvoir de manipulation) dans le discours et les pensées rapportées?  
  • Paragraphe commençant par ‘Mental representation’: Quelle est la distinction essentielle que fait Nikolajeva au sein du discours figural? Que veut-elle dire lorsqu'elle mentionne les 'préjugés' des 'auteurs adultes' quant à leur lecteur implicite? Quelles évolutions contemporaines met-elle en lumière dans la caractérisation en LJ?
La toute dernière question était:
  • Choisissez un exemple de personnage d'un livre pour enfants ou pour adolescents. Aussi précisément que possible, essayez d'explorer sa caractérisation. Réfléchissez à la perspective narrative et à la manière dont le personnage est décrit. 
Alors là, total mea culpa mais j'ai complètement oublié de prendre des notes sur les exemples que les étudiantes avaient trouvés - je pense que j'étais total stressée par l'heure qui tournait - alors je ne vais pas pouvoir partager leurs trouvailles.

Fin de la lecture guidée.

On avait au tableau une espèce de spider diagram gigantesque et multicolore, c'était très beau, et il a fallu que je me grouille de la mort qui tue sur l'exercice suivant.

'Lire comme un écrivain': 4 exemples

Pour l'exercice suivant j'avais préparé quatre textes dont je voulais qu'on discute du point de vue de la construction des personnages. Les règles étaient les suivantes: pour chaque extrait, identifier:
  • La focalisation (perspective narrative)
  • Les éléments de 'telling' dans la caractérisation
  • Les éléments de 'showing'
  • Et où ces éléments se trouvent exactement 
Je précise ici que, bien qu'il soit évident à la plupart des Français/es ce qu'on entend par perspective narrative, narrateur externe, interne, omniscient, etc, parce qu'on l'apprend à l'école, ce n'est pas vraiment le cas en GB. Il faut donc expliquer ces termes. 

Voilà les 4 extraits que je leur ai proposés:

encore une fois dsl de la qualité merdique
Ci-dessus la première double page de Claude in the City, d'Alex T. Smith (London: Hodder, 2011). 

Ensuite l'incipit de Winnie l'Ourson, de A.A. Milne, illustré par E.H. Shepard :


HERE is Edward Bear, coming downstairs now, bump, bump, bump, on the back of his head, behind Christopher Robin. It is, as far as he knows, the only way of coming downstairs, but sometimes he feels that there really is another way, if only he could stop bumping for a moment and think of it.
And then he feels that perhaps there isn't. Anyhow, here he is at the bottom, and ready to be introduced to you. Winnie-the-Pooh.
When I first heard his name, I said, just as you are going to say, "But I thought he was a boy?"
"So did I," said Christopher Robin.
"Then you can't call him Winnie?"
"I don't."
"But you said--"
"He's Winnie-ther-Pooh. Don't you know what 'ther' means?"
"Ah, yes, now I do," I said quickly; and I hope you do too, because it is all the explanation you are going to get.
Puis les premières pages de Four Children and It, de Jacqueline Wilson (2015), et de The Hate U Give, d'A.C. Thomas (2017). Je ne vais pas les mettre ici parce que c'est long et y a déjà trop de texte.

Pour chaque extrait on a parlé donc de tout l'appareil de caractérisation.

Je pense qu'on était trop pressées par le temps pour que ça soit véritablement 100% efficace mais je dirais que ça m'a notamment aidée à identifier que mes étudiantes arrivent bien à parler de la caractérisation en termes 'mimétiques' (tel personnage est intelligent, timide, fier, etc. comme élément constitutif de sa personnalité) mais moins à dire exactement où le texte 'travaille' pour qu'on en arrive à cette conclusion. En fait je dirais même qu'elles ont de la difficulté à faire la distinction entre les deux opérations. Il faudra donc bosser là-dessus dans les semaines à venir parce que c'est vraiment indispensable.

Entre Wilson et Thomas on a fait une pause (pfiou) donc on était en retard à peu près de 15 minutes sur mon plan de cours et en speedant vraiment la partie lecture. Donc j'ai enchaîné assez rapidement sur les ateliers.

Ateliers: Caractérisation directe et indirecte

Pour cet atelier j'utilise 4 illustrations d'illustrateurs et illustratrices contemporain/es: Quentin Gréban, Eglantine Ceulemans, Anne-Soline Sintes et Kate Wakely-Mulroney. Pour chaque illustration, les étudiantes ont 4 minutes pour écrire un texte, avec la contrainte apposée à l'illustration: dans ces cas-là, simplement 'décrire la scène', du point de vue de/ de la perspective narrative de:

3e personne, du point de vue de la fille

2e personne, du point de vue de la personne qui tient le poisson

Narrateur omniscient, 3e personne

1e personne, point de vue du chien (il y a un chien à l'arrière de la moto)
Les 4 exercices s'enchaînent l'un après l'autre: on ne s'arrête pas au milieu pour relire, ce sont vraiment des 'esquisses d'écriture', un peu comme on ferait dans un cours de dessin, avec des changements rapides de position du modèle.

Ces 4 premiers exercices sont assez faciles mais aussi utiles pour contrecarrer les habitudes d'écriture que l'on a tous/tes: préférer telle ou telle personne, tel ou tel temps du récit, telle ou telle focalisation, etc.

Sans surprise, l'exercice à la 2e personne du singulier a été celui qui a occasionné le plus de difficultés (et de rires), et on a fait une petite liste de textes pour enfants ou adolescents à la 2e personne du singulier (par exemple Stolen de Lucy Christopher, ou Oh! The places you'll go, de Dr Seuss).

Puis on a fait un cinquième exercice: là elles ont 7 minutes pour reprendre l'un de leurs textes précédents, et le continuer en utilisant l'une des contraintes de caractérisation indirecte parmi la liste qu'on a élaborée plus tôt dans la session:

manière dont un personnage parle d'un autre personnage; dialogue; manière dont un personnage traite un autre personnage; hobbies; apparence, dont fringues; actions; histoire personnelle; pensées; effets physiques de telle ou telle émotion ou pensée.
Cet exercice est intéressant car il oblige à réfléchir activement à la caractérisation indirecte, alors que c'est normalement un type de caractérisation qui arrive de manière assez passive pour beaucoup d'auteur/es.

Ma théorie c'est qu'on a en fait beaucoup plus tendance à penser consciemment - et consciencieusement - à la caractérisation directe, via la description de personnages, et c'est comme ça qu'on peut basculer dans un 'tell' assez lourdingue. Souvent, il faudrait en fait (je pense) être plus conscient de l'appareil de caractérisation indirecte que l'on met en place, et s'en apercevoir rétrospectivement quand on l'a fait inconsciemment.

Feedback time!

Lecture et débriefing en binômes d'abord. Malheureusement on a eu assez peu de temps.

Dans le débriefing en groupe, on a tenté de voir à quels endroits exacts des textes la caractérisation avait lieu, d'en parler de manière analytique et pas seulement descriptive, mais c'est resté assez en surface par manque de temps et aussi, je pense, parce que le matériel était très dense et technique et qu'il faut que les étudiantes développent leurs outils d'analyse littéraire avant de pouvoir s'attendre à des explorations plus poussées.

Ce qui est plus difficile dans ce cours qu'en atelier d'écriture, je m'en rends compte, c'est que j'attends des sessions de feedback une analyse de texte spécifique et constructive mais qui doive aussi, à la fois, mobiliser des connaissances relativement pointues (encore une fois, pour des étudiantes qui n'ont pas nécessairement de formation en analyse littéraire). Evidemment, en atelier d'écriture 'normal' je n'exige pas de mobiliser un tel appareil technique (même si j'exige un engagement analytique), et c'est cela qui est difficile à jongler ici, surtout quand je n'arrive pas à coller aux délais temporaires que je me suis auto-infligés.

Après c'était donc l'heure, et je les ai laissées partir. La session suivante, sur 'la voix', reprendra beaucoup d'éléments défrichés dans cette session-ci et les mènera un peu plus loin (j'espère).

lundi 16 octobre 2017

Ecriture créative, Session 1: Introduction

Episode précédent (introduction générale) ici.

Juste une petite note: il vous semblera sans doute que ces billets sont écrits de manière assez factuelle sans toutes les blagounettes habituelles et petits essais stylistiques hasardeux. C'est que je les écris méga à l'arrache et qu'ils sont hyper longs parce qu'il y a vachement beaucoup de matériel à couvrir. Sorry, le ton un peu basique est le prix à payer pour un billet hebdomadaire. Je serai spirituelle quand j'aurai le temps... 


Préparation

Les lectures préparatoires à la première session étaient délibérément à mi-chemin entre l'essai universitaire et l'essai d'auteur. D'abord 3 textes d'auteur/es jeunesse tirés d'un super (et énorme) recueil d'essais universitaires sur la littérature jeunesse:
  • Anderson, M.T. (2011). ‘Point of Departure’. In Shelby Wolf et al. (eds.) Handbook of Research on Children’s and Young Adult Literature, London: Routledge, pp.372-373; 
  • Pullman, Philip. (2011). ‘Point of Departure’. In Shelby Wolf et al. (eds.) Handbook of Research on Children’s and Young Adult Literature, London: Routledge, pp.313-314;  
  • Zusak, Markus. (2011). ‘Point of Departure’. In Shelby Wolf et al. (eds.) Handbook of Research on Children’s and Young Adult Literature, London: Routledge, p.330.
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non seulement ce bouquin est chouettissime mais sa couv est magnifique

Et puis le fameux texte que Philip Pullman a prononcé lors de l'obtention de la médaille du Carnegie des Carnegie, récompensant la meilleure oeuvre parmi toutes celles qui ont gagné le plus prestigieux prix de littérature jeunesse en Grande-Bretagne pour son 70e anniversaire (en 2007).

Sa majesté Philip Pullman
C'est de ce discours qu'est extraite la célèbre phrase: 'Il y a certains thèmes, certains sujets, trop vastes pour la littérature adulte; ils ne peuvent être abordés de manière adéquate qu'en littérature jeunesse.'


A partir de ces lectures, les étudiantes devaient formuler et apporter avec elles trois idées pour ouvrir une discussion collective sur le sujet 'qu'est-ce qu'écrire pour les enfants?'

Les étudiantes devaient également chacune apporter un objet important pour elles ou symbolique d'une manière ou d'une autre.



Entrée en matière

La première session d'un module, comme celle de tout atelier d'écriture, est toujours un peu particulière: il faut à la fois présenter le module, et se présenter les unes aux autres. On se jauge toujours un peu, profs comme élèves: pourquoi ont-elles choisi mon module? le suivront-elles sérieusement? quelles sont leurs attentes? savent-elles quelles sont les miennes? etc.

J'ai d'abord commencé comme toujours par les considérations administratives: structure du module, dates et nature des évaluations, etc.; et enfin la fameuse contrainte du zéro-écran, qui est très bien passée; une étudiante a fait un peu la tronche mais rangé ordinateur et téléphone. 

Puis, pour mieux connaître les expériences d'écriture des étudiantes, on a commencé par un tour de table général, répondant simplement à la question: 'Alors vous voulez écrire pour la jeunesse? Pourquoi?' 


C'est ce que je fais toujours en atelier d'écriture.

Dans le cas de ce module, je connaissais déjà 8 des 12 étudiantes, qui faisaient partie d'un groupe assez chouette que j'avais déjà eu l'année dernière en module de méthodo et de littérature. Mais je n'avais qu'une idée très vague de leur intérêt pour l'écriture (sauf pour l'une d'entre elles).

Sur les 12, à peu près un tiers avait déjà écrit et aimait écrire - pour plusieurs d'entre elles de la poésie, pour une autre déjà un roman. Les autres n'avaient pas écrit depuis des années, et elles étaient plutôt intriguées qu'acquises à la cause. Trois d'entre elles ont dit avoir choisi ce module car il serait utile à leur développement professionnel, car elles projettent de devenir institutrices.

J'ai ensuite parlé un peu de mon propre parcours et de la manière dont j'avais développé le module pour qu'il conjugue une vision universitaire de la littérature jeunesse et une expertise pratique de l'écriture et de la réflexion sur la notion d'atelier d'écriture.

Débroussaillage d'une épineuse question

Il fallait commencer par parler de la littérature jeunesse en général. Je précise que je m'adressais là à des étudiantes qui n'ont jamais étudié la LJ et n'ont aucune connaissance théorique sur le sujet. J'ai mis au tableau (enfin, à l'écran) les questions suivantes:

Que veut dire 'écrire de la littérature jeunesse'?
Que veut dire 'écrire de la littérature jeunesse'?
Que veut dire 'écrire de la littérature jeunesse'?

Et divisé la classe en trois groupes de 4. Chaque groupe devait plancher pendant 10 minute sur une seule des questions, en se focalisant sur le terme en italique pour le mettre en tension avec les autres mots de la question; l'idée étant d'ouvrir la discussion collective en dégageant 3 interrogations, lignes de réflexion, ou déclarations.  Elles étaient bien sûr encouragées à s'appuyer sur leurs lectures préparatoires aussi.

Je précise (mais ça doit être évident) que cette diapo des 'trois questions' est hyper utile pour tout module de littérature jeunese aussi - ça ouvre généralement énormément de réflexions et de pistes d'analyse sur le sujet, de manière beaucoup plus efficace qu'en les assommant de textes théoriques (qu'elles devront néanmoins lire après, évidemment...)

Cet exercice a bien fonctionné et pendant les discussions collectives entre toutes les étudiantes, je dessinais au tableau un grand 'spider diagram', sorte de toile d'araignée de questions et de réflexions reliées entre elles. Quel âge a le lectorat d'un livre jeunesse? Est-ce qu'on peut parler de littérature quand on a un album sans paroles? Est-ce qu'écrire un livre jeunesse c'est différent de raconter une histoire oralement? Etc.

Je n'ai hélas pas pris de photo de ce spider diagram parce que ça le fait pas trop si je leur dis de pas sortir les écrans et qu'ensuite je m'amuse à instagrammer nos réflexions collectives, mais l'important c'est que cet exercice permet de mettre en lumière très rapidement et très puissamment, à des personnes qui n'y ont jamais vraiment beaucoup réfléchi, l'immense complexité de ce concept qu'est l'écriture de la littérature jeunesse.

Il montre aussi aux étudiantes à quel point on peut arriver vraiment intuitivement à débroussailler un sujet extrêmement vaste, si on y réfléchit en groupe, de manière très focalisée.

Du côté de la modératrice de la discussion (moi, donc), le rôle consiste à consigner sur le tableau les réflexions qui passent, à choisir les plus importantes, à les lier entre elles, à poser d'autres questions 'naïves' pour relancer la discussion, et aussi à noter de temps à autre que telle ou telle question est centrale dans la théorie de la LJ en général, en expliquant rapidement les débats centraux sur le sujet.

Sur la théorie de la littérature jeunesse et les 'grandes questions', je vous conseille ici, si le sujet vous intéresse, l'excellent livre de Nathalie Prince ci-contre, que je ne conseille pas à mes étudiantes car il est en français, mais qui recouvre de très nombreuses facettes de cette grande question.

Dans mon plan de cours, j'avais prévu 30 minutes pour cette activité (10 minutes réflexion de groupe +20 minutes discussion collective) mais évidemment on a débordé donc ça a duré 45 minutes. Avec les 10 minutes d'intro au début, on en était déjà à 55 minutes.

Quelle lectrice de littérature jeunesse êtes-vous? 

La diapo suivante était en grande partie destinée, pour moi, à juger du niveau d'expertise des étudiantes en LJ contemporaine. La question posée était: 'Quels sont les 3 derniers livres jeunesse que vous avez lus?'. Sans surprise (du moins pour ma part), aucune des étudiantes n'avait récemment lu un livre jeunesse contemporain, sauf dans le cadre de stages dans des écoles (mais elles ne se rappelaient pas des titres).

J'ai ensuite spécifié qu'une attente de ce module serait que les étudiantes lisent au moins un livre jeunesse récent par semaine. Cette injonction a évidemment fait beaucoup rire. L'une des étudiantes a affirmé qu'elle était 'so excited' qu'on lui ait donné de tels devoirs, donc ça devrait aller (enfin, on verra la semaine prochaine...).

Quelques pistes (très angliche-focused) pour se tenir au courant des nouvelles publications, que je leur ai données:
  • Les grands prix: Carnegie, Newbery, Caldecott, Branford Boase, Waterstones, UKLA...
  • Le Marsh Award pour la LJ en traduction
  • Demander aux libraires, bibliothécaires et enseignant/es autour d'elles
  • Suivre des auteur/es, illustrateurs/trices, maisons d'édition sur Twitter et Facebook
C'est la base de la base et franchement, si vous êtes ici, vous êtes probablement bien informé/e déjà sur le sujet. Mais c'est important dans les modules de LJ en général et dans celui-ci en particulier de dire des choses assez simples de ce genre, parce qu'il n'est pas du tout évident pour quelqu'un qui ne connaît rien à la LJ de savoir comment commencer, par quoi, par qui, et où trouver des infos.

Lire comme une écrivaine

Cette diapo amenait à la suivante: pourquoi lire de la LJ contemporaine, et comment la lire 'comme une écrivaine', c'est-à-dire en partie pour nourrir son écriture? J'ai déjà écrit un billet de blog à ce sujet il y a quelque temps, donc je ne vais pas me répéter, mais on a discuté avec les étudiantes des raisons pour lesquelles on pourrait bénéficier, en tant qu'auteures, de la lecture des textes des autres.

Ayant parlé de cela, on a discuté plus précisément des stratégies de lecture que l'on peut développer lorsque l'on cherche à 'lire comme une auteure'. Je leur ai montré une liste établie par Heather Sellers dans The Practice of Creative Writing: A Guide for Students (New York: Bedford, 2008): (ma trad)

Concentrez-vous sur les aspects suivants lorsque vous examinez le travail d'autres auteur/es:
  • Qu'est-ce qui crée de l'énergie dans ce texte?
  • Pourquoi ce texte est-il intéressant? Qu'est-ce qui me donne envie de continuer à lire?
  • Si je n'ai plus envie de le lire, si mon attention s'amenuise, pourquoi? 
  • Quand est-ce qu'il me transporte totalement, et comment ça se fait?
  • Quels sont les motifs?
  • Sur quoi mon attention se porte-t-elle?
  • Qu'est-ce qu'il me fait voir différemment?
  • Comment l'auteur/e a-t-il/elle commencé le texte, et par quoi a-t-il/elle choisi de le terminer? Pourquoi à ce moment-là?
(slide powerpoint pour la VO)
On a passé quelques minutes à discuter de cette manière de lire, et à réfléchir à d'autres questions encore. On a ensuite comparé cette approche du texte et une approche traditionnelle de critique littéraire 'académique': en quoi ces questions diffèrent-elles d'une analyse de texte telle qu'on pourrait la faire en cours de littérature? En quoi sont-elles similaires?

Je cherchais à faire émerger dans l'esprit des étudiantes l'idée que, bien que ces questions soient sensiblement différentes d'une approche de critique littéraire, elles reposent sur des stratégies de lecture pas si éloignées: le repérage des motifs, éminemment, peut être enrichi par une connaissance critique des genres littéraires; mais même des questions qui semblent subjectives (qu'est-ce qui m'intéresse? qu'est-ce qui me transporte?) peuvent reposer sur des considérations de rythme, de figures de style, de structure, de stratégies narratives, d'intertextualité, de caractérisation, etc.

Ensuite il était enfin l'heure de faire une pause, alors on s'est toutes jetées sur nos smartphones pour les défricher de toutes les nouvelles notifications qui s'étaient accumulées pendant 1h.

Lire comme une écrivaine 2: en pratique

Dans mon plan de cours j'avais prévu qu'on aurait terminé la première heure après l'exercice de lecture, mais c'était loin d'être le cas, alors j'ai dû reporter l'exercice de lecture au début de la deuxième heure.

Pour cet exercice, qui visait à mettre en lumière ce que peut offrir les stratégies de lecture suggérées plus tôt, j'ai donné à mes étudiantes les quatre premières pages du très joli livre de Lois Lowry The Willoughbys, qui est un drôle de petit roman entre le pastiche et la parodie, qui reprend les codes des histoires pour enfants du 19e siècle et les décale habilement.

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Je leur ai laissé 5 minutes pour lire ce début, en ayant à l'esprit l'une des questions de Heather Sellers, pour voir comment cela orientait leur lecture. Puis on a débriefé ça en groupe.

Elles avaient toutes des réflexions assez intéressantes sur la manière dont la question choisie avait focalisé leur attention sur tel ou tel aspect du texte (je notais au fur et à mesure au tableau). Le plus grand intérêt de l'exercice, il me semble, a été de montrer, par l'accumulation d'aspects notés par les étudiantes, à quel point ce début est complexe et combien de différentes facettes peuvent constituer des points d'intérêt pour celle qui 'lit comme une auteure'.

Je pense qu'on n'a pas passé assez de temps à débriefer, cependant, parce qu'on était charrette et je voulais commencer l'écriture proprement dite.

Atelier: L'objet que vous avez apporté avec vous. 

Pour ces deux ateliers, que j'ai déjà faits par le passé, je me suis inspirée librement d'exercices assez courants en atelier d'écriture, et aussi du supergénial roman Le groupe de Jean-Philippe Blondel, qui parle d'un atelier d'écriture dans un lycée, et de bien d'autres choses encore par ce biais-là.

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La première contrainte était la suivante:
  • Sortez l'objet que vous avez apporté avec vous. Racontez son histoire. (5 minutes)
Comme toujours en atelier d'écriture, il y a au départ une sorte d'incrédulité générale qu'il soit possible d'écrire quoi que ce soit en 5 minutes, mais c'est évidemment tout à fait possible et les étudiantes se sont vite aperçues que leurs stylos galopaient à toute allure. Ca aide cependant, je trouve, quand la toute-toute-première contrainte est plutôt facile: dans ce cas, écrire l'histoire de l'objet est une bonne contrainte, je trouve, parce que le sujet est très familier et on peut tout à fait rester dans la description; ça débloque l'écriture sans trop stresser.

A la fin des 5 minutes, j'ai immédiatement fait apparaître sur l'écran le deuxième exercice:

  • Echangez votre objet avec votre voisine. Inventez l'histoire de ce nouvel objet, cette fois-ci en ayant spécifiquement à l'esprit que votre texte puisse s'adresser à un lectorat jeune.  (10 minutes)
J'ai précisé que 'jeune' pouvait être interprété comme elles le souhaitaient - mais on avait auparavant longuement parlé de la difficile question de l'âge en LJ, et des questions liées à l'âge (maturité physiologique, niveau de lecture, maturité 'psychologique', etc.) donc elles n'étaient pas 'à froid' sur cette question. 

Fin de l'exercice et partage

A la fin des 10 minutes, on a parlé d'abord de l'expérience en elle-même: est-ce que c'était difficile? étrange? drôle? J'ai insisté pour qu'elle se rendent compte de la quantité de texte que l'on peut produire en quelques minutes seulement. Puis je leur ai demandé d'échanger leur texte avec leur voisine et de passer 5 minutes à lire et 10 minutes à échanger sur ce sujet.

Je précise qu'en cours comme en atelier, je n'impose jamais à quiconque de partager ses textes avec toute la classe: je pars du principe qu'il ne faut le faire que si on a envie, et de toute façon au fil des sessions il y a toujours une décontraction qui s'installe et finalement tout le monde ou presque partage avec le groupe complet. Par contre, j'impose le partage avec la voisine, et en contrepartie je permets aux étudiantes de s'asseoir à côté de qui elles veulent.

Le partage, comme toujours pour un premier exercice, était ponctué de rires nerveux et d'exclamations. J'ai noté au tableau ce que j'entendais au vol: des phrases comme "C'est cool, j'aime bien!", qui constituent toujours le commentaire numéro un de tout atelier d'écriture au départ.

Puis on a discuté collectivement de la manière dont le partage s'était effectué, et on a commencé à débattre de ce que peut être, ou doit être, un vrai retour de lecture entre pairs. La grande difficulté, évidemment, c'est qu'il faut parler en direct à l'auteure du texte; comment faire pour que ce jugement soit bienveillant mais aussi utile et constructif?

Je leur ai donné un autre extrait de Sellers où elle dit:
Dans un cours d'écriture, tous les membres du groupe doivent essayer d'être le meilleur lecteur possible pour chaque texte. On est comme un électricien qui examine une maison: le décor, on s'en fiche. On est là pour vérifier ce qui fonctionne, ce qui est correctement branché ou ne l'est pas. Concentrez-vous sur le texte que vous avez entre les mains, et sur les outils qu'a utilisé l'auteur pour créer ce texte. Laissez de côtés votre opinions de l'auteur. ... Parlez de la nature du texte avant de proposer votre critique; c'est ce qui s'appelle un retour sans jugement [non-judgmental response].
On a parlé de cet extrait. L'impression générale du groupe était qu'il y a beaucoup de problèmes dans cette conceptualisation du feedback, du retour de lecture; qu'il est problématique de voir le lecteur comme un électricien, qu'il n'est pas clair de quoi il retourne quand on parle du 'décor', qu'il est irréaliste de penser qu'on peut laisser de côté ses opinions personnelles, et qu'il est sans doute d'ailleurs indésirable de le faire. Cependant, l'idée de parler de la nature du texte avant de commencer sa critique a semblé trouver un écho parmi les étudiantes.

Des mots ont émergé, pour qualifier un échange idéal autour d'un texte: que le feedback soit 'spécifique', par exemple. J'ai précisé que tout le long de l'année, nous travaillerions sur le concept d'échange de textes entre pairs, pour tenter de mieux cerner cette activité si particulière et de voir comment on pourrait lui donner une structure et des paramètres précis.

On a ensuite parlé un petit peu des textes. La plupart des étudiantes ont dit que la seconde contrainte ne leur avait pas fait 'simplifier' leur style, mais qu'elles avaient écrit le texte différemment en ayant à l'esprit un lectorat jeune. L'une a dit qu'elle était 'tout de suite partie dans une histoire', alors que le premier texte avait été simplement descriptif. Ce sont des ébauches de réflexion qu'on continuera dans les prochaines semaines.

Et là c'était vraiment l'heure de les laisser partir. Je les ai rapidement briefées sur la préparation pour la semaine suivante, et elles se sont éclipsées.

Je dirais que cette session s'est passée plus ou moins comme je l'avais prévue, à part un temps un peu trop élastique sur la grosse réflexion de groupe du début, mais c'est normal, ce genre d'activités 'bave' toujours un peu et ça reflète le fait que la discussion a été très riche. Cependant je ne risquais pas grand chose dans cette première session: toutes les activités m'étaient très familières car je les avais souvent utilisées (à la fois en cours de LJ et en ateliers d'écriture) donc ce n'était pas du matériel totalement nouveau pour moi.

Session suivante, lundi prochain: Le personnage et la caractérisation.