samedi 25 octobre 2014

Souvenirs d'avant, et écritures d'aujourd'hui

Aujourd'hui, trois petites histoires, et quelques petites questions.

Histoire n°1: Le trou.

En bas de l'immeuble de mes parents, à Paris, là où j'ai passé la majeure partie de mon enfance, il y a un trou près du sol dans la grande porte en verre - une ouverture pratiquée, à l'origine, pour faire passer des tuyaux, mais assez grande pour qu'un enfant s'y glisse. Alors évidemment, quand j'étais petite, je passais très rarement par la porte. Souvent, j'étais déjà ressortie de l'autre côté alors que mes parents cherchaient encore leur clef - alors je leur ouvrais la porte de l'intérieur, couverte de poussière et très fière de moi.
Le temps a passé et j'ai arrêté, je ne sais pas pourquoi, de passer par le trou.
Un jour, je suis rentrée du collège et je me suis aperçue que j'avais oublié mes clefs. Pas de problème, me suis-je dit - il me suffit de passer par le trou. Mais évidemment, c'était désormais impossible - mes épaules étaient trop larges et le reste de mon corps aussi.
Ca ne m'a pas beaucoup attristée, il me semble, mais après coup, pendant plusieurs semaines, en y repensant, je me suis confusément posé la question - était-ce vraiment parce que j'avais grandi que je ne pouvais plus passer par le trou, ou était-ce parce que j'avais arrêté de passer par le trou que j'avais grandi?

Histoire n°2: La spatule.

Quand j'étais petite, j'avais une faim constante et dévorante. Mes rêves étaient remplis de nourriture: crêpes au Nutella, poulet à la crème, fromages. Je me retenais rageusement de sangloter si je jugeais qu'on avait servi quelqu'un d'autre plus copieusement que moi. S'il y avait un distributeur de bonbons dans le coin, j'avais du mal à me concentrer sur quoi que ce soit, surtout s'il vendait des Kinder Bueno. Le Kinder Bueno était mon chocolat préféré mais aussi une torture atroce, parce qu'à chaque carré il fallait faire le choix de le manger d'un coup (extase), ou de l'ouvrir comme une petite boîte et lécher la crème à l'intérieur pour faire durer le plaisir.
J'avais une amie dont la mère faisait d'exceptionnels gâteaux tous les jours. J'allais souvent chez eux en vacances, et mon amie et moi-même rôdions autour de la table de la cuisine comme des louves en attendant que sa mère ait fini de faire passer la pâte à gâteau, avec une cuillère en bois, du saladier au moule. On se jetait ensuite sur le saladier pour lécher le plat. 
Un jour, la mère de mon amie a acheté une spatule en silicone. Je n'avais jamais vu de spatule en silicone. 
Paralysées d'horreur, on a regardé l'odieux ustensile racler le saladier avec une efficacité consternante, en y laissant à peine deux ou trois maigres traînées de pâte. 
Chaque jour après l'arrivée de la spatule, au bord des larmes (j'en avais véritablement des vertiges de frustration), on a imploré sa mère de nous laisser un peu de pâte, mais elle semblait croire qu'un gâteau était fait pour être mangé cuit. 
On a élaboré le crime parfait. On a poussé la spatule jusqu'au fond du tiroir à couverts, et elle est tombée par-dessus bord, PLING! derrière le meuble, rejoignant sans doute une pile de cuillères, ciseaux et autres exilés du tiroir trop plein.
Les jours d'après, la cuillère en bois délicieusement inefficace a refait surface, et avec elle le léchage de plat. Et puis ils ont racheté une spatule.

Histoire n°3: Le château.

Ma mère était enceinte de ma soeur; je devais avoir cinq ans et demi, six ans. On avait un appartement minuscule et mes parents cherchaient un appartement un peu moins minuscule. Ils m'avaient dit combien ils voulaient dépenser pour le nouvel appartement (beaucoup plus que pour la maison Playmobil que je voulais), et je les 'aidais' en regardant les annonces dans les vitrines des agences immobilières.
 Un jour j'ai repéré une annonce pour un château à vendre. Un château! Et bien moins cher que ce que mes parents comptaient mettre dans le nouvel appartement. Un château avec des tourelles, un immense jardin et une forêt. 
J'ai écouté, sans vraiment comprendre, ma mère qui m'expliquait qu'ils ne voulaient pas de château, parce qu'ils voulaient vivre à Paris. J'ai fait remarquer que l'annonce disait que le château était proche de Paris. Ma mère a rigolé en disant écoute Clémentine, non, on ne va pas acheter de château. On va acheter un appartement à Paris.
 Je me souviens m'être dit, clairement, avec affolement, comme si cette soudaine révélation allait avoir une grande influence sur ma vie future, mes parents sont fous. Je vis avec des gens qui sont fous.

*** 


Maintenant j'ai trois spatules en silicone, et quand j'aurai enfin un boulot permanent je m'achèterai un appartement, ou une petite maison. Pas un château.
C'était 'nous' les enfants contre 'eux' les adultes à l'époque, c'était eux les bizarres et nous les normaux. Maintenant c'est un peu l'inverse - ces minuscules gens-là ne sont pas comme nous... Je n'ai plus du tout aussi faim. Je me souviens de cette faim, donc j'ai plus ou moins la patience de ne pas m'énerver absolument tout de suite quand ils chipent des morceaux de mozzarella dans la salade avant qu'elle n'arrive sur la table (arrhggg!!!!) ou quand ils font un caprice pour une glace.
Bien sûr, c'est génial de penser que je voulais vraiment un château. Génial, mais fou. 
Non? Qui est fou dans l'histoire? Je ne suis pas sûre de croire que les rêves d'enfants soient vraiment les plus purs, les plus vrais et les plus intenses. Quelque chose me dit (casquette d'universitaire) que cette idée est sans doute une jolie invention contemporaine...
Evidemment on peut écrire des histoires pour enfants d'après tous ces souvenirs, si intenses, et les écrire en faisant comme si on croyait vraiment, toujours, qu'il faut acheter des châteaux dans la vie et que tous les gâteaux doivent être mangés avant leur passage au four. 
Mais est-ce que ce serait vrai? Est-ce que ce serait honnête? Après tout... on ne fait plus ça, maintenant. 
Est-ce que ces souvenirs nostalgiques seraient vraiment nos histoires
Comment écrire pour les enfants, en ayant tellement changé? 
Faut-il écrire comme si on croyait vraiment qu'on peut encore passer par le trou? Mais ce serait laisser notre corps derrière nous, et tout ce qui l'a fait grandir...
 

lundi 20 octobre 2014

Poésie et littérature jeunesse: le grand amour

Aujourd'hui, ma deuxième 'Feuille de Clémentine' apparaît sur Les Histoires Sans Fin...


J'y parle de poésie et de littérature jeunesse. Et on y va en cliquant ici.


samedi 11 octobre 2014

Les petites reines

Il y a quelques mois, Comme des images est sorti, un an et demi après La pouilleuse, un an après On n'a rien vu venir, trois ans et quelque après mes premiers livres chez Talents Hauts, et j'ai commencé à remarquer un petit point commun entre les (nombreuses) (merci les blogueu/r/ses!) chroniques de tous ces bouquins. Ce point commun, c'est que j'en ressortais avec cette image-là:

Rrrrrrrrrrr!

Le champ lexical de ces chroniques comprend en effet généralement les mots suivants afin de caractériser ou moi ou mon écriture: 'cruelle', 'froide', 'terrible', 'glaciale', 'efficace' (ça me fait penser à un système mécanique de noyade de chatons, ça, 'efficace'), 'anxiogène', 'sanguinaire' (bon d'accord, peut-être pas), et surtout, surtout, donneuse de claques (cf: 'ce livre est une vraie claque'):

Relations habituelles avec les blogueu/r/ses
(Il est à noter que ces charmants lecteurs et délicieuses lectrices ont tout de même semblé apprécier, pour la plupart, ces grandes claques efficaces et glaciales, je dis ça je dis rien.)

Or, je vous jure que dans la vie de tous les jours je donne très rarement des claques. Bon, n'exagérons rien, je ne suis pas non plus la déesse des grandes émôtions, mais je n'égorge pas de petits colibris tous les matins pour en arroser mes Weetabix (seulement le samedi). Parfois il m'arrive de rêvasser que je cours dans de grands champs de blé habillée d'un drap blancs et de fleurs avec des chatons choux, des bébés mignons et tous les petits animaux de la forêt.

rêverie du matin

Or, il appert que les lecteurs et les lectrices aiment aussi parfois qu'on évite de leur donner des claques et qu'à la place on les fasse rire; grande leçon numéro un que j 'ai tirée de mes livres angliches. A la suite de mes deux séries rigolotes (sérigolotes) pour Hodder et Bloomsbury, j'ai donc écrit un livre rigolo (livrigolo) pour Pépix chez Sarbacane, et voilà donc que mon prochain Exprim' est presque fini et qu'il s'agit aussi d'un Exprim' rigolo! (Exprigolo)

Cet Exprigolo-là sortira donc, je suis en mesure de vous l'annoncer, en mars prochain, en même temps d'ailleurs que le livrigolo (Carambol'ange: L'affaire Mamie Paulette), et à peine un mois plus tard qu'un autre Sarbacane, un album cette fois, qui est aussi marrant (albumarrant), Lettres de mon hélicoptêtre. Donc début 2015, vous allez en avoir ras-le-bol de ma tronche parce que je serai tout le temps en train de promouvoir mes hilarantes productions. Heureusement, je vous rassure, après ce sera le calme plat toute l'année.

Voilà à quoi ressemble l'Exprigolo:


Il ressemble aussi à ça:

Il y a plein d'odeurs et de goûts à l'intérieur:

boudin aux pommes

crottin de Chavignol

tarte aux pralines
 
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Et de quoi est-il question, dans cet Exprim'-là?

  • De Mireille, Astrid et Hakima, qui ont été élues grandes gagnantes du concours de Boudins de leur collège à Bourg-en-Bresse. 
  • Du frère d'Hakima qui est l'astre du jour lui-même, mais n'est pas sorti de chez lui depuis un an.
  • De la raison pour laquelle nos trois jeunes filles n'ont pas le temps de s'apitoyer sur leur sort, car il leur faut impérativement être à Paris pour gate-crasher la garden-party de l'Elysée le 14 juillet. 
  • Du fait qu'il est logique qu'elles y aillent à vélo, en vendant du boudin sur la route.
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Donc ça s'appellera Les petites reines, et c'est un road-trip qui parle d'adolescence, de nourriture, d'espoir, d'amitié, de vignobles (beaucoup), d'amour (un peu), de philosophie aussi et même de guerre sablonneuse et de chevaux préhistoriques. Et d'une très grande passion pour le crottin de Chavignol.

Mais surtout de ce qu'on peut faire quand on se donne un but farfelu dans la vie et qu'on s'en fait un grand chapeau.

Mon surmoi éditorial en la personne de Tibo s'empresse de me faire spécifier que ce n'est PAS SEULEMENT UN LIVRE DROLE CLEMENTINE, c'est PAS SEULEMENT UNE COMEDIE OK!!!!???!!! C'est aussi plein du VRAI SENS DE LA VIE REELLE! Il y a des EMOTIONS DEDANS et aussi de la VERITE VRAIE qu'on ne trouvera jamais chez Platon !

Platon = loser
Evidemment, c'est tout à fait exact.

J'ai hâte donc que vous fassiez la connaissance de Mireille (phrase totalement cliché des auteurs qui ont un livre qui va sortir et font genre le narrateur est une vraie personne), d'Astrid, d'Hakima et du Soleil, et que vous compreniez enfin le vrai sens de la vie réelle. 

àpluche
Clem

lundi 6 octobre 2014

Aujourd'hui je blogue...

... sur le site des Histoires Sans Fin, dont le bon roi Fred Ricou m'a octroyé un petit bout pour que je lui ponde une chronique spéciale de temps en temps.

Ca s'appellera "Les feuilles de Clémentine", c'est garanti sans pépins, c'est facile à peler et ça se passe ici!

Et de quoi on parle aujourd'hui? de la tendance du roman ado illustré en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

allez-y de ma part!

dimanche 5 octobre 2014

7 idées reçues sur le métier d'auteur jeunesse

1. Premier roman publié = Premier roman écrit; ou alors, 'Tout ce qu'on écrit est publié'

Faux. A part pour deux ou trois personnes, le 'premier roman' est loin d'être le premier fini par l'individu. Souvent le 'premier roman' publié est le cinquième, sixième ou vingtième écrit par l'auteur. Et à part pour dix ou vingt personnes, les textes écrits ensuite sont loin d'être tous publiés.

La partie émergée que tu vois, c'est celle qui est pas dans les tiroirs.


2. Les écrivains passent leurs journées à écrire

Alors en fait, quand ils ne sont pas en train de faire comme tout le monde et de faire leur lessive/ sortir le chien/ se couper les ongles de pied, la vie professionnelle des écrivains est loin de n'être qu'une existence de longues heures d'écriture. Petit aperçu:

Le travail d'auteur a de plus beaucoup changé; on s'attend à ce qu'on fasse beaucoup de promotion, de visites et de correspondance en plus d'écrire des livres.

Le travail de relecture, réécriture, corrections etc. prend aussi un temps beaucoup plus important que la plupart des gens ne l'imaginent.


3. Le plus difficile dans l'écriture, c'est de trouver les idées

Non, le plus difficile, c'est de CHOISIR UNE SEULE idée et DE S'Y TENIR JUSQU'AU BOUT.

Au stade des idées, y a pas de problème, on en a dix mille:
Mais il faut en choisir une (ô angoisse!) pour le projet en cours...

... et finir l'histoire. C'est là qu'arrivent les doutes, les angoisses, les pleurs et les larmoiements au téléphone avec ta mère.

4. Une fois que t'as un éditeur c'est tranquille, t'as totalement confiance en toi et en tout

Non, c'est toujours le doute et l'angoisse, avec en plus la peur de décevoir et l'envie permanente d'aller hiberner dans une grotte pendant le reste de ta vie. La remise d'un manuscrit ressemble donc à ça:

5. On gagne beaucoup d'argent
J'exagère, bien sûr. On a rarement de quoi s'acheter du champagne.

Nan allez j'abuse. Mais la perception du grand public est tellement, TELLEMENT fausse. Le nombre de fois où on me demande si j'écris 'pour l'argent'. Juste un rappel que la plupart des auteurs ne font pas ça à temps plein (et ne le veulent pas forcément, comme moi par exemple), et que ceux qui gagnent leur vie ne gagnent pas forcément un salaire qu'on pourrait qualifier de confortable. Si vous trouvez ça pas juste, achetez davantage de livres, pas sur Amaz$n si possible, empruntez-les en bibliothèque publique (on reçoit une somme à chaque fois!), et encouragez vos enfants/ amis/ etc à faire de même. De notre côté, on essaie d'obtenir plus de droits et de reconnaissance dans l'industrie du livre.

6. On écrit poussé par l'inspiration, qui s'adosse à notre épaule et nous murmure des belles phrases

Ou plutôt poussé par la deadline, qui te murmure d'écrire encore 3000 mots avant la fin de la journée sinon tu vas pas te coucher avec une tasse de thé et le dernier Robert Galbraith.

7. Tous les auteurs jeunesse rêvent en réalité d'écrire 'pour les adultes'

Bizarrement, non, certains (la plupart) d'entre nous écrivent pour les enfants parce qu'ils trouvent que c'est une activité intéressante, enrichissante et belle en tant que telle. Et si on écrit un jour pour les adultes, c'est pas forcément qu'on a 'évolué vers' cette littérature.

Vous avez le droit de penser qu'on est des losers, mais n'allez pas imaginer que nous en sommes à nos propres yeux. Nous, ça va bien. Et vous, vous nous prenez la tête.

Juste un peu.