mercredi 23 novembre 2011

Ecrivain 2.0: Comment se comparer sans déprimer


Merci à Anne-Gaëlle Balpe d’avoir suggéré ce thème.

Avant internet, je sais pas, j’étais pas née, mais j’imagine que c’était sans doute moins difficile. On écrivait, on publiait (ou pas), on voyait dans les magasins les bouquins des autres, on lisait parfois une interview dans la presse.

Maintenant, pour peu que tu blogues et que tu suives les blogs des autres, impossible de passer une journée sans lire quelque part que quelqu’un est trop super extatique parce que « Victoire! Lola championne de youpala a trouvé un éditeur !!! et mate un peu les trop belles illustrations ! »

Et là, toi qui viens de te recevoir une 249e lettre-type de refus pour un truc envoyé il y a six mois, t’as une réaction en chaîne :

  1. Woohoo bravo ! Trop belles illustrations ! Trop beau livre en perspective !
  2. Au moins il y en a une qui va passer une bonne journée !
  3. C’est toujours les autres qui passent une bonne journée.
  4. En même temps, ils écrivent tous mieux que moi.
  5. Où est ma boîte de Kleenex ?
  6. *Larmes et morve*

(J’exagère un tout petit peu.) Alors comment éviter la déprime dans un monde plein de talent ? Liste de poche de trucs et astuces :

Ne surtout pas éviter de se comparer

Au contraire, il faut absolument se comparer, mais bien se comparer, c’est-à-dire en se basant sur des critères solides au lieu d’évoquer une vague notion de « qualité » impossible à juger objectivement. Untel prend peut-être plus de risques. Unetelle est peut-être plus encline à se plier à certaines exigences du marché. Untel est peut-être plus travailleur. Unetelle mise peut-être plus sur l’humour et la légèreté. Et si ça fonctionne pour eux, alors comment peut-on adapter leurs stratégies à notre « voix », à nos thèmes, à notre manière d’écrire ?

Se comparer à soi-même

Oui, c’est un gros cliché, mais quand on compare son travail actuel au travail d’il y a plusieurs années, ça met un gros boost au moral. C’est là qu’on s’aperçoit qu’on n’a pas gâché du temps à écrire plein de trucs non publiés. On se dit au contraire qu’on est bien content que ces manuscrits-là soient restés dans les tiroirs, et que dans plusieurs années on sera encore meilleur.

Et surtout, se faire des ami/es!

La communauté d’auteurs-blogueurs est incroyablement amicale, accueillante et rigolote. C’est une communauté d’entraide et de soutien, pas d’élimination des « concurrents ». L’idée, c’est qu’on est tous dans le même bateau et qu’on comprend mieux que personne ce qui se passe dans la tête des autres. Quand on commence à se faire des ami/es dans le milieu, on en vient vite à échanger des astuces, des filons, des adresses, des manuscrits, et on évolue dix fois plus vite que si on reste dans son coin à regarder tout le monde s’activer en ronchonnant. Maintenant que je suis entrée dans cet univers, je ne peux pas imaginer ma vie et mon écriture sans lui. C’est la meilleure motivation et la distraction la plus productive qu’on puisse recommander à un écrivain.

Et toi, petit animal jaloux, comment fais-tu pour te comparer productivement aux autres? Veux-tu être mon ami? Réponds dans les commentaires.

dimanche 20 novembre 2011

Le tabou en littérature jeunesse


Merci à Mariesse d’avoir suggéré ce thème.

Le tabou, c’est l’indicible : l’interdit le plus puissant que l’on puisse concevoir, puisqu’on ne peut même pas le dire.

En littérature jeunesse, les tabous sont une vraie plaie. Personnellement, je pense qu’ils ne devraient pas exister, mais ils existent bel et bien, et avant de se lancer dans un roman pour enfants avec un thème « difficile », si l’on veut vraiment qu’il soit publié, il faut y réfléchir fermement. Car ceux qui pensent que « de nos jours, on peut parler de tout » se trompent. La plupart des éditeurs (et surtout les « grands » éditeurs) ne veulent pas publier de livres à thèmes tabous.

Cependant, les tabous évoluent, et il y avait il y a cinquante ans des thèmes complètement interdits en littérature jeunesse qui sont désormais relativement courants. Parmi eux :

  • Le divorce
  • Le sexe
  • La mort, particulièrement le suicide
  • L’avortement
  • L’homosexualité
  • La drogue
  • Le meurtre perpétré par l’adulte

Mais il y a toujours des vides sidéraux à certains endroits, qui prouvent bien que les tabous existent toujours. Actuellement, il est toujours extrêmement difficile dans un livre jeunesse d’aborder, entre autres:

  • La maladie grave
  • La prostitution
  • La torture
  • L’inceste
  • Le meurtre perpétré par l’enfant

Et plus on descend vers la petite enfance, évidemment, plus c’est risqué. Un roman « jeune adulte » comme Forbidden, de Tabitha Suzuma, peut aborder l’inceste frère/sœur (et encore, c’est un roman extrêmement controversé). Mais il est presque impossible, comme je l’ai découvert à mes dépens, de parler de cancer par le biais d’un album.

Mais pourquoi faudrait-il dire non aux tabous ?

C’est vrai, après tout : pourquoi aborder ces thèmes « horribles » ? C’est une question de conception de l’enfance. Les partisans des tabous adhèrent à une conception de l’enfance héritée de la période romantique : ils imaginent un enfant idéal, angélique, dont il faut absolument préserver l’innocence. Ceux qui pensent au contraire que les tabous sont indésirables adhèrent à une conception de l’enfance post-freudienne : l’enfant est désacralisé, l’enfance imaginée justement comme une période d’apprentissage et de négociation des interdits.

Dans la pensée moderne, cela se traduit par l’idée que le livre pour enfants est un moyen extrêmement puissant d’aborder les tabous, pour mieux les expliciter et les débarrasser de leur interdit « magique ».

Quand Judy Blume a publié Pour toujours, en 1975, personne n’avait jamais abordé la sexualité adolescente de manière aussi franche. Malgré la tempête de critiques indignées, Pour toujours est devenu un livre culte qui a aidé des millions d’adolescents à travers le monde à dédramatiser leur propre sexualité et à l’envisager avec humour et tendresse.

Les drogues dures étaient un sujet absolument tabou en littérature jeunesse jusqu’à la publication de Junk, en 1996, par Melvin Burgess. Ce bestseller mondial, encore une fois conspué par les partisans de « l’innocence », a présenté à des millions de lecteurs les scènes ultraréalistes, terriblement choquantes, d’une bande de jeunes héroïnomanes. C’était un sujet dont on ne parlait pas, et donc un sujet dont on ne savait rien.

Bien sûr qu’il faut s’adapter à la tranche d’âge lorsque l’on aborde un sujet tabou. Mais il faut les aborder, car si l’on ne le fait pas, on les nourrit. On ne « traumatise » pas les jeunes lecteurs en abordant des thèmes difficiles : il est impossible de savoir ce qui va traumatiser un jeune lecteur. Moi, j’étais traumatisée par Pinocchio et par Tistou les pouces verts.

Il est faux et dangereux de penser que les enfants ne sont pas « capables » de comprendre et d’assimiler des thèmes difficiles. Ce sont les adultes qui n’en sont pas toujours capables.

Et vous, qu'en pensez-vous? Avez-vous déjà été rejeté par des éditeurs pour cause de sujets "tabous"? Lesquels?

jeudi 17 novembre 2011

lundi 14 novembre 2011

Non aux excuses! N°5: Je gagnerai jamais d'argent!

Ca, c'est clair.

Allez, j'exagère. Il est tout à fait possible que tu te récupères de jolies sommes ici et là. Mais si c'est l'argent qui te motive pour écrire, j'espère ne pas te vexer si j'ouvre la bouche en grand pour te hurler de rire à la figure.

95% des auteur/es publié/es ont un travail à temps plein ou à temps partiel, et utilisent leurs droits d'auteur comme argent de poche. Les 5% restants 'vivent de leur plume'. Sur ces 5%, à peu près la moitié gagnent l'équivalent d'un SMIC. En réalité, beaucoup d'écrivains dits 'professionnels' comptent très souvent sur leur partenaire pour ramener un salaire fixe à la maison.

A la différence de beaucoup d'autres métiers, en plus, un écrivain doit dépenser beaucoup avant de gagner quoi que ce soit. [Petite musique d'ambiance et voix grave:] Ordinateur portable: 300€. Cartouche d'encre noire: 25€. Envoi d'un roman par la poste: 4€. Ecrire: ça n'a pas de prix. Il y a certaines choses qui ne s'achètent pas. Pour tout le reste il y a EuroCard MasterCard et tu raques comme un pigeon.

Se lancer dans l'écriture dans l'espoir de gagner beaucoup d'argent s'apparente à jouer au Loto. Il y a quelques gros gains, un certain nombre de gains moyens, et puis un océan de non-gains.

'Je gagnerai jamais d'argent' est l'excuse la plus bidon possible pour ne pas écrire, parce que même avec 2000 ou 3000 euros d'avance pour ton bouquin tu n'arriveras jamais à t'acheter quelque chose qui justifiera, économiquement parlant, tes 300 heures d'écriture, tes 20 heures de réécriture, tes 3 heures par semaine de promotion du bouquin/mise à jour de ton site, et ainsi de suite. Si tu commences à calculer ton salaire horaire, tu verras vite fait qu'écrire est l'une des activités les moins rentables auxquelles tu puisses te livrer.

Du coup, tu peux arrêter ou ne pas arrêter. Mais si pour toi c'est véritablement un choix et non une nécessité que de ne pas arrêter, c'est que tu n'es sans doute pas fait pour cette 'profession'.

Exercice de non-excuse: Calcule (avec réalisme et en utilisant les chiffres inférieurs-à-moyens du marché actuel) ce que tu peux espérer gagner pour ce que tu es en train d'écrire. Divise par le nombre d'heures que tu passes à écrire, à envoyer aux éditeurs, à promouvoir, etc. Rigole en voyant le salaire horaire final, et dis-toi que si c'est ça qui doit te motiver, alors c'est même pas la peine.

Et si vraiment, véritablement, honnêtement, franchement et irrémédiablement, il t'est absolument impossible d'accepter que tu ne gagneras jamais autant qu'un trader en étant écrivain, alors mon pote, va surveiller les cours du soja, personne ne te retient.

J'espère que ce petit marathon des excuses vous a plu, et que des excuses, vous n'en avez plus!

samedi 12 novembre 2011

Non aux excuses! N°4: Je ne serai jamais publié/e!

C'est fort possible.

C'est aussi fort possible que tu finisses par l'être, mais que jamais ça ne te satisfasse pleinement. Pour faire court: si être publié est ta seule obsession diurne et nocturne, tu vas te prendre une grosse déception dans la face.

Bien sûr qu'on écrit dans une très large mesure 'pour' être publié, et c'est extrêmement important, mais croire que la publication est une transformation magique de tout ton être à la manière d'Un Nouveau Look pour une Nouvelle Vie sur M6, c'est se fourrer le doigt dans l'oeil jusqu'à s'en gratter la luette.

Ton livre sort. Félicibravos à toi. Cette année, un million de livres ont été publiés dans le monde.

Un million.

Par voie de comparaison, la Bibliothèque Nationale de France possède quatorze millions de livres. En seulement quatorze ans, la production mondiale de livres pourrait remplir la BNF. Tout ça pour dire que Le joli Noël de Boubou dont tu es si content ne va pas perturber l'axe de rotation de la Terre.

Bien sûr, être publié apporte énormément de bonheur et de surprises, c'est gratifiant, c'est un gros boost au moral. Mais compte tenu du temps, de l'énergie, de la passion et de la frustration que tu investis dans un livre, si ton seul but ultime c'est la publication, alors le jeu n'en vaut pas la chandelle. Jamais le seul fait d'être publié ne te rendra profondément, intimement, parfaitement heureux et en paix avec ton écriture.

'Je ne serai jamais publié!' n'est pas une excuse pour ne pas écrire, parce qu'écrire et être publié sont deux formes différentes de satisfaction, et deux formes différentes de bonheur.

Il faut arrêter de se dire qu'on écrit 'pour rien' si on n'est pas publié – même si on n'est jamais publié. On n'écrit jamais pour rien. Plus on écrit, plus on développe son style, sa voix, sa technique, et même si jamais cette écriture ne se transforme en objet parallélépipédique à plusieurs folios et surface mate, on n'a pas 'gâché' ou 'perdu' ces heures d'écriture. Si elles sont là, si elles s'imposent, c'est qu'elles remplissent une fonction beaucoup plus large et beaucoup plus enrichissante que d'être publié. Il faut s'entraîner à percevoir la publication comme un effet, et non pas comme un but.

Exercice anti-excuse: Sortir d'un tiroir un manuscrit qu'on n'a jamais réussi à faire publier. Essayer de se souvenir du plaisir qu'on a pris à l'écrire, et voir s'il dépasse la déception de ne pas avoir réussi à le placer chez un éditeur.

Et si vraiment, véritablement, honnêtement, franchement et irrémédiablement, il t'est absolument impossible de te dire que le bonheur d'écrire dépasse le malheur de ne pas être publié, alors mon pote, arrête de t'imposer cette souffrance et trouve-toi un autre hobby.

Lundi, excuse numéro cinq: Je ne gagnerai jamais d'argent!

jeudi 10 novembre 2011

Non aux excuses! N°3: Je suis nul/le!

Meuh non voyons! Allez, un bisou.

Se trouver nul la plupart du temps est un signe de bonne santé. On se trouve tous nuls. J'aurais plutôt tendance à m'inquiéter pour ceux qui ne se trouvent jamais nuls.

Cette excuse-là arrive généralement aux alentours du premier tiers du roman qu'on est en train d'écrire. Tout a l'air d'aller bien, et tout à coup, tu ne sais pas d'où ça vient ni comment, mais une voix dans ta tête te dit 'C'EST NUL C'EST POURRI HAHAHA PAUVRE NULLE T'ES VRAIMENT NULLE ET CE QUE TU ECRIS EST PITOYABLE'. Et toi tu essaies d'argumenter: 'Ah bon t'es sûre mais quand même, là regarde c'est pas mal ce paragraphe...' et la voix répond: 'C'est tout simplement nullissime,' et tu dis 'Mais l'idée de départ n'était pas mauvaise' et la voix répond: 'Si je rencontrais cette idée au détour d'un sentier je la ferais écarteler, guillotiner et dévorer par des ours polaires pour crime contre l'Art.'

De toutes les excuses, c'est sans doute la meilleure (et donc la plus menaçante) parce qu'elle est dangereusement sincère. On peut se prendre en main pour trouver du temps et des idées, mais se convaincre qu'on n'est pas aussi nul qu'on le pense revient à se mettre devant un miroir pour essayer de se convaincre qu'on n'est pas aussi moche qu'on le pense.

Ce qui est cool, le moyen de se débarrasser de cette excuse est le même que le résultat qu'on vise en s'en débarrassant. Parce que le meilleur remède anti-je-suis-trop-nul/le-comme-écrivain, c'est d'écrire. Plus on écrit, plus on gagne en assurance – pas en assurance que c'est bien, mais en assurance qu'au moins on arrive à écrire de mieux en mieux, de plus en plus facilement, avec de plus en plus d'idées.

Un bon moyen de combattre la petite voix, c'est d'imaginer un architecte regarder son bâtiment en construction en se disant 'Qu'est-ce que je suis nul! Allez, on arrête tout.' Absurde, évidemment. On ne peut pas juger d'un bâtiment en construction, parce qu'un bâtiment en construction ne remplit pas encore sa fonction finale, c'est-à-dire d'être un endroit joli où on peut vivre. L'électricité ne fonctionne pas encore. Les murs ne sont pas encore peints. Il manque les vitres aux fenêtres.

Je ne vois pas pourquoi on aurait des exigences vis-à-vis d'un livre en cours d'écriture qu'on n'a pas vis-à-vis d'un bâtiment en construction.

Au lieu d'essayer de juger de son écriture (un exercice totalement subjectif), il faut se reporter sur des données objectives. Ne pas se demander: 'est-ce que c'est nul?', mais plutôt: 'Combien de pages aujourd'hui? Qu'est-ce qu'il me reste à faire? Quel est le thème central du livre? Que va devenir ce personnage? Comment développer cette idée?'

Et, ce faisant, se concentrer sur le processus d'écriture, pas sur ce que la partie maniaco-dépressive de notre cerveau essaie de nous susurrer.

Exercice anti-excuse: Se forcer à écrire cinq pages d'un texte sans relire, sans effacer, et en réfléchissant seulement aux éléments objectifs à développer. Ranger dans un tiroir sans regarder. Ressortir dans deux semaines. Juger.

Et si vraiment, véritablement, honnêtement, franchement et irrémédiablement, il t'est absolument impossible de ne pas te trouver nul, alors mon pote, à mon avis c'est un blog de psychanalyse que tu devrais lire au lieu du mien.

Samedi, excuse numéro quatre: Je ne serai jamais publié/e!