samedi 30 juillet 2011

Là où s'arrête la fiction: Hunger Games et le massacre d'Oslo


L'une de mes amies est en train de lire Hunger Games, de Suzanne Collins, le phénomène du moment. Comme je l'ai expliqué de manière un peu tranchante il y a quelque temps, je suis loin d'être fan de Hunger Games, mais je suis prête à en reconnaître l'intérêt comme objet d'étude. Pour ceux qui vivraient dans un iglou avec pour seul moyen de communication un téléphone en pots de yaourt, Hunger Games est une dystopie qui raconte la lutte à mort de vingt-quatre adolescents, en direct à la télévision, lors d'un grand 'jeu' de massacre national.

Le jour de la terrible tuerie perpétrée à Oslo et sur l'île voisine d'Utoya, mon amie m'a envoyé l'email suivant: 'c'est en voyant des choses comme ça que je n'arrive pas à croire que j'ai « bien aimé » Hunger Games'. L'association ne m'était même pas venue à l'esprit. Mais depuis, je n'arrive pas à m'en débarrasser.

Evidemment, il n'y a absolument aucun lien direct entre Hunger Games et le massacre d'Utoya. Mais en écoutant les témoignages glaçants des adolescents rescapés, en voyant les images terrifiantes de l'événement, on ne peut que se dire que c'est à ça que ressemble véritablement une tuerie froide et organisée de la jeunesse d'un pays.

Et c'est là qu'on se rend compte à quel point le genre de littérature auquel appartient Hunger Games nous désensibilise à la réalité de ce que représente la mort d'un enfant ou d'un adolescent. Anesthésiés par une lecture terrifiante mais ô combien divertissante (impossible de lâcher le bouquin, je défie quiconque de le lire en plus d'une journée), nous absorbons, sans en saisir le sens, le massacre méthodique de vingt-deux adolescents. Les personnages du livre, évidemment, sont suréquipés face à la mort, et la confrontent, la donnent et la reçoivent sans faiblir.

Maintenant que le film est en plein tournage, nous sommes également bombardés de photographies des jeunes acteurs et actrices choisis pour incarner les personnages, dans une sorte d'énumération glauque et glamour. 'Laura Smith, 15 ans – rôle: jeune fille numéro 7'. Comprenez: cette blondinette californienne 'mourra' dans les premières minutes du film. Mais c'est son premier rôle hollywoodien! et ce n'est que son personnage qui meurt, pas elle, évidemment. Ce rôle d'enfant sacrifié, c'est la chance de sa vie.

Et voilà que brutalement le massacre d'Oslo s'impose à nous, et la réalité nous force à regarder en face un pays dont l'histoire va être entièrement réécrite, des centaines de personnes empêchées pour toujours de vivre une vie normale par le souvenir terrible de ceux qu'ils ont perdus. Voilà à quoi ressemble véritablement le meurtre de dizaines d'enfants et d'adolescents.

Je ne veux tirer aucune conclusion de cette réflexion. Evidemment, la fiction remplit une fonction dans notre compréhension du monde. Le voyeurisme de Hunger Games s'apparente à un exercice cathartique déjà bien analysé. Il n'y a rien de mal à lire Hunger Games.

Mais lorsque l'on se réveille de cette fable télévisuelle hystérique et haletante, et que l'on reçoit les images et les paroles des adolescents et des enfants d'Utoya, on ne peut que se sentir incertain, mal à l'aise d'avoir tant accroché à l'histoire, et peut-être pour se donner une contenance, on est forcé de se répéter, encore et encore – Voilà à quoi ressemble véritablement le massacre méthodique d'enfants et d'adolescents.

3 commentaires:

  1. "Et c'est là qu'on se rend compte à quel point le genre de littérature auquel appartient Hunger Games nous désensibilise à la réalité de ce que représente la mort d'un enfant ou d'un adolescent."

    Je n'ai pas lu Hunger Games, donc je ne commenterai pas sur le livre, mais plutôt sur l'idée que la représentation, quelle que soit son genre, d'actes ou d'idées macabres ou violents, insensibilise à la réalité ; je ne suis pas certaine que ce soit vrai. Ce qui pose un problème, c'est le bovarysme, l'incapacité à distinguer ces représentations de la réalité. Mais je ne pense pas qu'il y ait un lien de causalité entre l'exposition à ces représentations et un quelconque effet "anesthésiant"...

    What do you think? :)

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  2. Hello,
    Ton blog est passionnant, mais il y a donc quelques points sur lesquesl nous ne sommes vraiment pas d'accord. Chouette, du débat !
    "Et c'est là qu'on se rend compte à quel point le genre de littérature auquel appartient Hunger Games nous désensibilise à la réalité de ce que représente la mort d'un enfant ou d'un adolescent."
    C'est un argument séduisant. Mais on est dans la morale plutôt que dans la scienticifité.
    Les guerres et les génocides n'ont pas eu besoin de la littérature pour arriver. L'homme est en soit un animal fort peu sensible aux autres, qui peut très bien écouter Bach le matin et massacrer l'après-midi.
    Je ne crois pas qu'un livre puisse nous désensibiliser (ni un jeu vidéo, ni un film). Au contraire j'ai toujours été frappé par le fait que les gens les plus doux, les plus fiables au collège et au lycée étaient ceux qui étaient amateurs de littérature d'horreur, qui écoutaient du hard rock. Alors que les amateurs de Mozart étaient de petites brutes psychologiques habiles. (là je ne suis clairement pas dans la scientiticité ok :-) ).
    Et est ce que tu écris cela parce que c'est de la littérature de genre ? Tu dirais aussi ça de Little Johnny's Confession ? Ce qui nous désensibilise c'est le manque d'attention aux autres, c'est une éducation qui nous apprend à ne pas trop ressentir pour les autres (j'ai une amie qui éclate en sanglots à chaque fois qu'elle voit un clochard dans la rue, c'est la seule qui réagit comme ça. Et pourquoi bon dieu ? Qu'est-ce qui est arrivé aux autres pour qu'ils ne soient pas touchés ? Les livres n'ont rien à voir là dedans. Simplement pour survivre dans le cadre que l'on nous donne il n'est pas possible d'être trop sensible, sinon on passe son temps à être blessé).

    Un truc gênant : ce livre (dont je ne connais que je sujet) ressemble beaucoup beaucoup à un croisement de Battle Royale et de The running man.

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    1. "Simplement pour survivre dans le cadre que l'on nous donne il n'est pas possible d'être trop sensible, sinon on passe son temps à être blessé" : Je crois que c'est ce que voulait dire Clementine par "désensibiliser" : c'est qu'on en vienne à préférer être indifférent pour survivre. Ce serait peut-être bien que nous soyons plus souvent blessés, afin de sortir de notre nombril pour faire avancer les choses.

      Et sinon, qu'est-ce que vous avez contre le mot "science" ? Pas assez compliqué ? ;o)

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