dimanche 18 décembre 2011

Vie de meuf (universitaire)

C'est pas pour faire ma chienne de garde, mais voici un petit billet féministe du dimanche sur le thème: 'Comment les 1% de mecs dans un domaine dominé à 99% par des femmes arrivent quand même à être les premiers.'

Dans ma discipline, l'étude universitaire de la littérature jeunesse, ce n'est pas une exagération de dire qu'il y a 95% de femmes. Dans notre Centre de Recherches, il n'y a qu'un seul homme; dans tous les colloques internationaux où je me rends, il est rare qu'il y ait plus d'un homme pour 60-70 femmes.

Et pourtant, mesdames, je peux vous dire qu'on les entend.

D'après mon expérience, un homme dans une immense salle de femmes va prendre la parole au moins trois fois par session, poser les questions les plus abruptes, et donner l'avis le plus rempli de références à Foucault. L'homme va oser dire ce genre de choses:

'Votre truc, ça ne tient pas debout.'

Alors qu'entre femmes (anglo-saxonnes, il faut préciser), on ne dit jamais ça; on dit 'J'ai bien peur de ne pas tout à fait comprendre comment fonctionne votre théorie'.

Bref, un seul chromosome Y dans le coin et la conférence se transforme en show room pour son aptitude à la critique, sa connaissance en détail de la French Theory (enfin, on dirait), son air désabusé et ses capacités hors normes à prendre la parole même quand la modératrice est en train de la donner à quelqu'une qui a levé la main comme il se doit.

Le chromosome Y sait s'imposer.

'Etrangement', demandez à n'importe quelle universitaire dans ma discipline quels en sont les 5 plus grands pontes à l'heure actuelle, et il y a d'énormes chances qu'elle vous donne 3 noms de mecs et 2 noms de femmes (ok, vous voulez des noms? Jack Zipes, Perry Nodelman, Philip Nel, Peter Hunt...). Allongez la liste jusqu'à 10 et peut-être que vous aurez la parité.

3 sur 5, et 5 sur 10. Alors que, je le répète, la proportion d'hommes dans la discipline en fait presque une quantité négligeable.

Mais les hommes:
- Publient énormément;
- Ont un style d'écriture plus agressif qui fait que leurs théories semblent plus aventureuses (quand on les analyse en profondeur, c'est loin d'être toujours le cas);
- Ont beaucoup d'ambition, et donc sont surreprésentés sur les panels éditoriaux des plus grandes revues et des collections de bouquins pour presses universitaires;
- Sont plus compétitifs, et donc coiffent aux poteaux de talentueuses XX pour s'imposer aux postes de professeurs et de directeurs de centre;
- Twittent, bloguent, facebookent et sont sur Academia.com;
- Donnent des interviews dans les médias;
- Au jour le jour, bénéficient magnifiquement - et c'est là leur plus belle victoire - d'un auditoire de femmes qui, utilisant rarement les mêmes méthodes, en sont souvent relativement fascinées. Et par conséquent (ce n'est que mon expérience subjective des choses), ils sont plus rarement critiqués.

Bref, voilà comment la minorité invisible à la base devient majorité ultra-visible au sommet. Et ça marche plus ou moins de la même manière dans l'édition et dans l'enseignement primaire et secondaire.

Si j'ai le courage un de ces jours, je vous ferai un billet sur le même phénomène dans l'écriture et la critique de livres jeunesse. Parce que là aussi, le petit nombre de Y s'en sort beaucoup mieux que l'océan de XX...

10 commentaires:

  1. ah oui !! J'ai remarqué ça aussi en écriture (jeunesse)... quand quelques hommes passent dans le salon de Montreuil c'est "ohhh t'as vuuuuu c'est YYYYYYY !!", phrase que prononcent des XX tout autant éditées, mais forcément moins intéressantes, à cause du "e" à la fin de "intéressantes". J'ai hâte de lire ton article !

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  2. Merci Anne-Gaëlle! je crois qu'il va me falloir du courage et des chiffres, parce que c'est le genre de coup de pied dans la fourmilière qui ne fait pas gagner des amis ;)

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  3. Super intéressant ton article !

    par contre, je connais un livre 100% féminin, qui sortira en 2012

    et on ne l'a même pas fait exprès en fait, on cherchait juste le talent ;-)

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  4. Tu peux faire ta chienne de garde sans complexe : passionnant ton article!

    (Et très bon la remarque de la Miss Vidal! Le talent. On cherchait juste le talent ;-)

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  5. C'est juste!

    Article écrit, et planifié pour mercredi.

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  6. La fille qui réagit plus vite que son ombre :)

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  7. @ Clémentine Beauvais :
    Intéressant.
    Mais vous savez les hommes qui se mettent en avant comme celui que vous citez, prennent non seulement de la place et de l'attention aux femmes, mais aussi aux hommes qui ne sont pas sur ce mode arrogant. (et puis des femmes sont arrivistes aussi, mais ça passe par d'autres canaux, par d'autres stratagèmes).
    Une question : est-ce qu'un homme qui ne serait pas arrogant et dans les canons de la virilité arriverait à se faire une place dans un milieu très féminin ?

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  8. difficile de savoir ce qu'on pense (moi en tout cas) sur un tel sujet, tellement on est imbriqué dedans, et centré sur soi
    je voulais préciser : je trouve votre constat juste (j'ai peur que mon précédent commentaire ne parle d'autre chose), et ça fait du bien de voir, de lire, des femmes féministes

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  9. Merci Martin, votre remarque est très intelligente, je trouve que je deviens moi-même beaucoup plus belliqueuse dans des contextes très masculins et je pense que c'est davantage une attitude 'sexuée' qu'un trait absolument indissociable du sexe.

    Questions très intéressantes en tous cas et qu'il ne faut pas négliger quoi qu'en disent certains :)

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  10. Merci de m'avoir fait découvrir academia.com au passage! ;)

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