Les mystères de quoi? Oui, à moins que vous soyez plutôt bien informé en critique littéraire de la littérature jeunesse, vous n'avez certainement jamais entendu ce terme de votre vie. Une petite recherche sur google.fr m'informe qu'il n'existe nulle part en français, alors je me permets de le traduire. Car c'est un concept extrêmement important - l'un des pivots de l'étude des livres pour enfants - et je pense que ça vaut la peine d'écrire quelques lignes sur le sujet.
Le concept d'aetonormativité a été développé par Maria Nikolajeva, accessoirement ma directrice de thèse mais aussi et surtout l'une des plus grandes pontes de la critique de la littérature jeunesse contemporaine, dans plusieurs articles mais aussi dans ce livre, Power, Voice and Subjectivity in Literature for Young Readers (2010). Mais avant qu'elle ne lui donne un nom, c'était déjà une notion existante depuis des décennies d'étude de la littérature jeunesse.
Le concept d'aetonormativité est à la base calqué sur le concept d'hétéronormativité, qui dans la critique queer définit l'existence d'une norme hétérosexuelle, hétéroérotique, etc dans notre culture et notre société. De manière similaire, le terme d'aetonormativité se réfère étymologiquement à la norme de l'âge, et définit l'existence d'une normativité de l'âge adulte, de l'être-adulte et du devenir-adulte, dans les productions culturelles destinés à la jeunesse et dans le système éducatif.
Ce que ce concept implique, c'est que ces productions culturelles et cette pensée éducative renforcent la normativité et donc la suprématie de l'adulte et de l'être-adulte au détriment de l'enfant et de l'enfance, et donc confirment et reconfirment une relation de domination ou de pouvoir de l'adulte sur l'enfant. Cette domination peut s'exercer de deux manières parfois opposées:
- En refusant l'enfant réel au profit de l'enfant idéal (Romantique), préservé dans un état d'innocence et d'impuissance, incapable de grandir, parfois érotisé, et assujetti à l'adulte.
- En permettant à l'enfant d'exercer un certain pouvoir, mais temporairement, pour l'inscrire par la suite dans un processus de maturation et de croissance qui consolide les fondements du monde adulte.
On parle de norme car dans ces productions culturelles, la norme est l'adulte et l'enfant est l'Autre (tout comme la femme est Autre chez Simone de Beauvoir, les peuples colonisés sont Autre chez Edward Said, etc: c'est un motif récurrent de la critique culturelle). Comme c'est l'enfant qui est le destinataire de ces oeuvres, l'enfant est paradoxalement invité à se considérer lui-même, et son enfance, comme Autre: non-adulte, non-fini, non-sexué, non-travaillant, etc.
Ce concept est absolument central à toute critique de la littérature jeunesse qui s'intéresse aux relations de pouvoir entre enfant et adulte dans le médium. Il pose la question systématique de ce qu'un livre jeunesse propose à l'enfant-lecteur comme conception de son enfance, et conséquemment comme conception de sa puissance en tant qu'enfant. C'est aussi un concept dont les ramifications sont infinies pour comprendre et expliquer les relations complexes, et ambiguës, que les adultes entretiennent vis-à-vis de l'enfance des autres et de la leur, à la fois rêvée et rejetée.
lundi 16 janvier 2012
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
C'est très intéressant! Merci! :-)
RépondreSupprimer