vendredi 13 janvier 2012

Quelle est la différence entre étudier la littérature et étudier la littérature jeunesse?

Beaucoup de gens me posent cette question: quelle est la différence entre l'étude littéraire d'un texte 'pour adultes' et l'étude littéraire d'un texte 'pour enfants'?

Pour y répondre, il faut d'abord considérer l'axiome de l'étude de la littérature jeunesse. Cet axiome, c'est le suivant: nous nous basons sur l'idée que la littérature jeunesse constitue une représentation symbolique des rapports adulte/enfant.

Ce qu'on veut dire par là, c'est que tout livre destiné à la jeunesse, écrit par l'adulte pour l'enfant, est nécessairement habité par des valeurs, croyances, désirs, etc, qui modulent et définissent un réseau de représentations de la relation entre adulte et enfant: que ce soit l'adulte et l'enfant 'réels' (auteur/lecteur), 'imaginés' (adulte idéal/enfant idéal), ou même 'conceptualisés' (le concept d'être-adulte, le concept d'enfance).

Toute étude de la littérature jeunesse doit prendre en compte cet aspect, selon moi, car si elle ne le fait pas, ce n'est plus une étude de la littérature jeunesse mais une étude littéraire qui utilise accessoirement des livres que l'on estime destinés aux enfants.

C'est la différence, par exemple, entre une étude du Petit Prince qui ne fait aucune mention du fait qu'il s'agit d'un livre de jeunesse et une étude du même livre qui, parallèlement ou conséquemment au thème choisi ('la philosophie dans le Petit Prince', on va dire), va chercher à décrire et expliquer les rapports adulte/enfant qui transparaissent dans l'oeuvre.

Pour clarifier, une étude 'idéale' de la littérature jeunesse va nous en apprendre un peu plus sur des questions spécifiquement liées aux relations complexes entre enfance et âge adulte: des concepts tels que la transmission, les différences générationnelles, le temps, la nostalgie, les idéaux d'éducation, etc.

Personnellement, je pense qu'une étude littéraire d'un texte destiné aux enfants qui ne prend pas ces aspects en compte est problématique, voire inutile, car elle ignore (volontairement ou involontairement) l'un des piliers du texte: la raison pour laquelle il a été écrit, et les pratiques de lecture qui y sont associées.

C'est souvent cela que les gens ne comprennent pas quand on leur dit qu'on étudie la littérature jeunesse. Ils pensent qu'on fait une étude littéraire classique, mais avec des textes 'simples'. Si c'était le cas, ça manquerait vraiment d'intérêt, à mon avis. En fait, étudier la littérature jeunesse, c'est s'inscrire dans une autre tradition critique: les questions que l'on pose au texte sont différentes de celles que poserait un chercheur en littérature.

Quand on étudie la littérature jeunesse, on ne perd jamais l'enfant des yeux, qu'il soit réel, imaginé ou conceptualisé.

7 commentaires:

  1. Mais... un livre jeunesse est avant tout un livre... non ? Surtout qu'il y a plein de borderlines, comme le Petit Prince justement. Pour moi le Petit Prince est un livre qui parle aux adultes de l'enfance, presque comme les premiers tomes de La Recherche du temps perdu.

    La relation adulte / enfant est passionnante, mais il n'y a pas que ça... Comme il n'y a pas que le rapport réel / fiction dans les romans historiques par exemple.

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  2. Il n'y a pas que ça, loin de là, mais pour moi toute étude de littérature jeunesse doit prendre en compte le fait qu'il s'agit d'un livre qui articule un aspect de la relation adulte/enfant. Je pense que c'est essentiel car ce qui fonde notre discipline c'est justement l'intérêt que nous portons à un type de livre caractérisé, voire défini par son audience.

    Si le Petit Prince est un livre qui parle aux adultes de l'enfance, alors c'est aussi un aspect de la relation adulte/enfant.

    Je pense similairement qu'une étude de livre historique, comme tu dis, qui ne ferait jamais mention du rapport réel/fiction est problématique.

    C'est-à-dire qu'on n'est pas obligé de faire de cet aspect la clef de voûte de notre analyse, mais c'est quelque chose qui pour moi doit toujours être gardé à l'esprit - et j'attends d'une étude d'un livre jeunesse qu'elle décode certains aspects de la relation adulte/enfant.

    Pour les livres borderline, on entre dans un domaine assez flou, c'est vrai. Par exemple Peter Pan: il y a des centaines d'étude qui ne semblent même pas imaginer que ça puisse être un livre pour enfants. Pour moi, c'est un problème.

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    1. Cela dépend ce que tu entends par étude, mais s'il s'agit juste d'un article je ne suis pas d'accord. Une œuvre est riche parce qu'elle est pleine de facettes, et l'on peut en oublier une de temps en temps pour s'attarder sur d'autres. D'autant que le caractère essentiel des facettes est très très relatif. Par exemple, la notion de gender qui est super importante aux USA est assez marginale en France.

      Le public à qui s'adresse le livre est une donnée importante au moment de la construction, mais il n'explique qu'en parti le succès d'une œuvre. Balzac écrit de la littérature populaire, mais pas que. Les Fables de La Fontaine sont des œuvres didactiques, mais pas que. Peter Pan est un livre pour enfants, mais pas que. Si ces œuvres ont traversé les siècles, c'est aussi parce qu'elles ont dépassé le premier public visé.

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    2. Mais excuse-moi, peut-être que je te comprends mal : en fait tu définis une "discipline" (que moi j'aurais plutôt appelé "approche") et qui du coup se fonde sur ce principe. Juste qu'on peut lire les œuvres de littérature jeunesse selon d'autres approches.

      Et hop, magie de la dialectique, on est d'accord ^_^

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  3. Haha :) non ce n'est pas de la dialectique, c'est très important comme distinction. Oui, pour moi un chercheur en littérature jeunesse et qui fait de cela sa discipline doit impérativement prendre en compte cet aspect. On peut lire ces livres selon d'autres approches, c'est vrai, mais si on ne prend pas du tout en compte l'enfant au coeur du texte alors pour moi on fait de l'étude de texte classique, pas de l'étude de la littérature jeunesse. Selon le texte étudié, je trouve que cela peut être un vrai problème: des 'oeillères' critiques, pour ainsi dire.

    Les textes borderline, c'est un sujet très intéressant. Ce qui me gêne souvent, c'est que des gens qui étudient Peter Pan, Alice, etc en tant que littérature 'adulte' risquent de le faire au détriment de la littérature jeunesse, c'est-à-dire qu'ils cherchent à 'nobiliser' ces oeuvres en disant que c'est presque une erreur de les considérer comme des livres pour enfants. J'ai un problème avec les études qui cherchent à masquer ce fait, car souvent c'est pour renforcer la suprématie de la littérature 'adulte'. D'ailleurs, pour moi la phrase 'Si ces œuvres ont traversé les siècles, c'est aussi parce qu'elles ont dépassé le premier public visé' est aussi problématique car elle implique qu'un livre pour enfants ne trouverait son prestige que dans son intégration dans un canon de littérature adulte.

    En tant que chercheur en littérature jeunesse je pense qu'il ne faut pas avoir peur de singulariser et notre discipline et notre corpus de textes ; d'avoir des méthodes, des approches et des modes de questionnement différents ; d'apporter des réponses distinctes de celles qu'une analyse littéraire classique apporterait. C'est aussi pour cela que l'analyse de livres jeunesse est souvent multidisciplinaire.

    Nous réussissons très bien à faire cela avec les albums jeunesse, d'ailleurs - c'est pour les romans jeunesse que c'est beaucoup moins clair.

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  4. ou 'annoblir' même, au lieu de 'nobiliser' ^^ #ausecoursjenesaisplusparlerfrançais

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  5. "D'ailleurs, pour moi la phrase 'Si ces œuvres ont traversé les siècles, c'est aussi parce qu'elles ont dépassé le premier public visé' est aussi problématique car elle implique qu'un livre pour enfants ne trouverait son prestige que dans son intégration dans un canon de littérature adulte. "

    Tout a fait. Si le jouet "Sophie la girafe" plait toujours aux bébés depuis plus de 50 ans, c'est pour sa qualité, pas parce que les adultes jouent aussi avec... Un livre c'est pareil

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