samedi 11 février 2012

Pseudonymous

Il y en a comme Romain Gary qui prennent un pseudonyme pour gagner deux fois le Goncourt. Il y en a d'autres, comme moi, qui prennent un pseudonyme par précaution. Ceci est le récit de ma courte expérience d'écriture sous pseudonyme (et non, vous ne saurez pas ce que j'ai écrit, ni mon pseudonyme): pourquoi je l'ai fait, ce que j'ai appris, et ce que j'en pense maintenant que c'est fini.

Il y a à peu près un an, grâce à une amie qui est aussi dans le milieu, j'ai fait des essais, qui se sont avérés concluants, pour une série de romans pour enfants pour la presse. Hyper bien payé, évidemment, mais consignes drastiques: un cahier des charges digne d'un exercice de techno au collège.

Le problème, c'est que sans entrer dans les détails, c'était une collection de romans extrêmement, intensément, voluptueusement commerciale. Si vous vous souvenez de mon billet sur la paralittérature de la paralittérature, c'est exactement ça: un type de fiction 'de genre' qui, dans mon domaine universitaire au moins, est vraiment très - trop - connoté. Par peur de compromettre ma carrière académique, j'ai décidé d'écrire sous pseudonyme. Etre professeur en littérature jeunesse et avoir écrit des romans jeunesse, c'est déjà pas sérieux: mais alors en plus, ce genre de romans!...

Evidemment, j'ai des convictions fortes, comme chacun sait, et il était hors de question de publier sous pseudonyme pour les contourner. C'était de la littérature de genre, mais pas de la littérature intrinsèquement sexiste - j'aurais refusé direct. Et en fait, sur les conseils de ma mère qui a toujours de bons conseils, en écrivant ces livres je me suis amusée à respecter certaines conventions du genre mais aussi à en transgresser beaucoup. Parfois l'éditeur a dit non, la plupart du temps il a dit oui. Je me suis retrouvée dans une situation que je n'aurais jamais imaginée: à écrire des romans supra-commerciaux mais semi-subversifs.

J'ai appris énormément de choses en écrivant ces romans. Ecrire rapidement; trouver toujours des nouveaux rebondissements; écrire des descriptions courtes et intenses, des dialogues drôles et réalistes; et surtout structurer à l'avance - structurer, structurer, structurer. Réussir à résoudre trois problèmes et à en créer un nouveau dans un seul chapitre. Et enfin me débarrasser de beaucoup de préjugés sur ce type de littérature. Sur le coup, je trouvais ça stressant et parfois même humiliant - rétrospectivement, je m'aperçois que je me suis bien amusée et que c'était une expérience vraiment enrichissante.

Mais surtout, je suis assez fière du résultat, moi qui suis généralement ultracritique envers mes textes. C'est de la bonne littérature de genre. Hors de question pourtant de me réconcilier avec mon pseudonyme officiellement, car je ne peux pas y être associée, encore une fois pour des raisons universitaires. Appelez ça de la lâcheté si vous voulez...

La série n'a pas duré, malheureusement ou heureusement. Les romans étaient vendus sous plastique avec un magazine, et franchement les couvertures étaient vraiment hideuses, le magazine peu intéressant, et tout le marketing était assez mal fait, sans parler de la distribution (on ne les a jamais vus dans un Relay...). Du coup le magazine s'est mal vendu et ils l'ont discontinué. C'est dommage dans un sens car je crois que la série aurait vraiment pu marcher sans ces problèmes cosmétiques. Je n'arrête pas de me dire que je devrais essayer d'en faire d'autres (pas sur ce thème, mais des séries 'commerciales' comme ça), et puis non, dans le temps très limité dont je dispose pour écrire, je préfère quand même faire des livres plus 'intello', plus 'profonds', plus 'gratifiants'.

Pourtant je conserve beaucoup de tendresse pour ces petits bouquins et je suis heureuse d'avoir eu l'occasion, pseudonymement, de balayer mes préjugés et d'améliorer mon style, ma structure et mes stratégies de caractérisation en les écrivant.

11 commentaires:

  1. On aurait bien voulu lire ça, dommage !
    ;-)

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  2. Un jour peut-être, quand je serai en Pléiade :D

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  3. Hum hum, j'ai bien envie de jouer les enquêtrices sur ce coup-là... Je meurs d'envie de la lire, ta série !

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  4. décidément, Clémentine, tu m'étonneras toujours ^^ Tu es une vraie... héroïne de roman (lesquels ? à toi de voir) ! :-D

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  5. Quelle belle histoire édifiante!

    ...du coté des profs de fac qui écrivent sous pseudonymes, il y a l'annecdote recente, et bien savoureuse je doit dire, de Eloisa James, autheure de historical romance novels qui ont beaucoup de succès commerciale. Eloisa James est en fait Ms Mary Bly, a tenured Associate Professor in the Department of English at Fordham University in New York. (C'est l'Uni où Micki travaille) C'est une spécialiste de William Shakespeare...

    On peut voir sur amazon les couvertures de ses romans voluptueusement illustrées avec une héroine à la cuisse succulente et poitrine débordante comme il se doit!

    PS: Elle a révellé sa deuxième carrière auprès de ses collègues de fac après que sa tenure soit acceptée...

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  6. héhé Anne-Gaëlle, ma vie ferait vraiment un piètre roman ;)

    Très intéressant François, merci!

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  7. Moi aussi j'aurais bien voulu lire ces livres :)
    Agathe

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    1. Quand on fait partie du cercle très fermé, on fait pas la maline Agathe ;-))

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  8. Super expérience oui, mais autant en effet bosser à un double Goncourt ;-)

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