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dimanche 27 novembre 2016

Vrac

Vinzou, je m'aperçois que ça fait 2 mois que je n'ai rien posté sur ce blog, et ce n'est pas faute de nouvelles. Mais le trimestre universitaire est intense - et à peine commence-t-il à toucher à sa fin que c'est l'heure de Montreuil! où vous me retrouverez, si vous le souhaitez:
  • le samedi de 10h à 12h chez Hachette, et de 16h à 18h chez Sarbacane
  • le dimanche de 14h à 16h chez Sarbacane.
En vrac, quelques autres news, surtout autour de Songe à la douceur. Cela fait maintenant deux mois que le livre est sorti et je suis enchantée de l'accueil qui lui a été réservé. Je n'ai jamais reçu autant de messages et de lettres, pas seulement pour Songe mais aussi pour Les petites reines qui a été, du coup, 'relancé' par la mise en avant de Songe.

Je me protège autruchément des avis, mais il y a eu des chroniques de Songe sur de nombreux blogs, ainsi que dans La Mare aux Mots, Libération, le Figaro, Télématin, Néon Mag, Causette, sur France Inter, et d'autres. La page 'revue de presse', mise à jour un peu trop sporadiquement, de Songe à la douceur est ici.

youpi matin-in-in
J'ai aussi eu la chance d'être interviewée par de nombreux blogs et sites lors de la sortie et après. La Voix du Livre a publié un entretien très complet, en plusieurs parties, ici. Merci aussi aux Histoires sans Fin pour une interview vidéo au sujet du livre, si ça vous dit de voir ma tête pendant 17 minutes:



In other news, La Charte des Auteurs et des Illustrateurs pour la Jeunesse a lancé cette semaine sa grande campagne annuelle pré-Montreuil, avec une série de photos absolument géniales pour parler, poétiquement mais pragmatiquement, des faibles pourcentages de droits d'auteurs accordés en jeunesse, en montrant de manière très concrète ce qu'ils permettent d'acheter au quotidien par livre vendu (indice: pas grand chose). Je ne sais pas si j'ai le droit de reproduire les photos ici, alors allez voir sur leur site ou leur page Facebook les superbes photos de Laura Stevens.

Voici ma contribution:


Sur ce, à très vite, promis.

mercredi 24 août 2016

Jour de sortie!

Et voilà, on y est, aujourd'hui 24 août, Songe à la douceur est en librairies!


Comme toujours, ce sera une journée un peu étrange, vu que je suis toute seule chez moi en Angleterre, que le livre ne sera nulle part ici, et que ni mes ami/es ni mes collègues angliches ne sont au courant. Donc pas de célébration, juste des préparations de cours et des corrections de thèse de master (t'as les larmes aux yeux là j'espère).

Mais pas grave, car j'ai déjà vu apparaître, de-ci, de-là, de fil Facebook en billet de blog, des photos du livre un peu partout, chez ceux et celles qui ont pu l'avoir à l'avance - et je dois dire que j'admire le talent photographique de ces baroudeurs...

Philippe Arnaud depuis l'Amérique...
Théo Uhart depuis sa chaise longue...
et Nathan Lévêque, qui a posé Songe à la douceur exactement où il devrait être, c'est-à-dire sur un pont parisien...

Et puis Songe à la douceur est déjà là, en ligne et sur papier, à travers des chroniques déjà nombreuses. Bon, pour être honnête, je m'en protège férocement, car oui, je te confirme que je suis en effet stressée, oui oui, il y a la pression, t'as raison, c'est marrant que tu me poses cette question!

Cependant, je suis éblouie de voir (à travers les interstices entre mes doigts posés sur mes yeux), dans les chroniques qui me parviennent, tant de détails, de commentaires et de remarques qui me font penser mais oui, c'est exactement ce que je voulais dire... et même si, en bonne prof, je m'empresse de préciser que ça n'a aucune importance ce que je voulais dire (#mortdelauteur #loveyoubarthes #wimsattbeardsley), c'est quand même une gigantesque joie (et aussi toujours une bizarrerie totale) de se savoir si attentivement lue, de constater des résonances, des connexions, entre 'nous', à travers le livre. 

J'ai répertorié les chroniques qui me sont parvenues ici, sur la page du livre sur mon site. J'espère que vous en trouverez une qui vous incitera à essayer le livre, parce qu'il y a de tout là-dedans, des chroniques écrites par des très jeunes adultes et des ados, d'autres par des adultes, euh... confirmés (ça va, je vexe personne?); des chroniques à fleur de peau, d'autres ultra-argumentées; des chroniques de ceux qui ont lu 'l'original', d'autres non; des gens qui ne lisent jamais ce genre de livre normalement, et même certaines qui ont réagi en vers...

Et puis d'autres qui sont totalement barrés, comme Simon Roguet, de la librairie M'Lire à Laval:



Dans la presse aussi, Songe à la douceur a eu droit à une double page dans Page des Libraires, grâce à Gwendal Oulès,


et puis dans Philosophie Magazine, grâce à Alexandre Lacroix; là il faut quand même que je signale que je n'ai pas encore reçu mon exemplaire, il arrive toujours plus tard en Angleterre (merci Gilles pour la photo!), mais j'arrive à peine à me représenter ce qui se passera quand je verrai pour de vrai mon livre à l'intérieur de ce magazine que je lis rituellement et obsessionnellement depuis tant d'années:

Que dire d'autre dans ce billet déjà honteusement trop autopromotionnel? (promis, on revient aux billets normaux bientôt). Vous voulez savoir l'histoire? Les grandes lignes en sont racontées dans presque toutes les chroniques, et j'en avais parlé ici, et c'est aussi sur mon site.

Pour le redire vite: c'est une histoire d'amour qui fait le grand écart entre dix ans: la première fois c'est un amour adolescent, la deuxième fois c'est un amour jeune adulte. C'est en vers. C'est inspiré d'Eugène Onéguine. Pour le reste, vous verrez bien...

Ca commence comment? Comme ça!

Ne me reste plus donc qu'à souhaiter à Eugène et Tatiana de tomber entre vos mains si ça vous chante - et à espérer qu'en effet, ils réussissent à vous chanter quelque chose.

jeudi 1 octobre 2015

Refuges, d'Annelise Heurtier

Nous interrompons nos programmes pour, une fois n'est pas coutume, une chronique (ou plutôt quelques pensées) sur le roman Refuges, d'Annelise Heurtier, sorti cette année chez Casterman.


Ca fait plusieurs années que je lis des livres d'Annelise et j'ai toujours aimé son style doux, poétique, précis, et ses thèmes vastes comme le monde: elle était passée de l'Amérique ségrégationniste dans le best-seller Sweet Sixteen à la Mongolie dans Là où naissent les nuages, et même dans ses albums et ses livres pour les plus jeunes on voit l'intérêt qu'Annelise porte au monde. Elle a toujours aimé les histoires politiquement ou socialement engagées (ce qui est, comme vous le savez sans doute, l'un de mes centres d'intérêt aussi), et le fait qu'elle vive à Tahiti depuis quelques années a sans doute aiguisé son regard sur ce qui se passe très, très loin de la métropole.

Avec Refuges on voyage à Lampedusa, en 2006, où viennent s'entrelacer les récits de plusieurs vies. Celle de Mila, jeune Romaine née en 1989 (je le dis juste parce que c'est aussi mon année de naissance tavu); et celles de Saafiya, Amanuel, Meron, Meloata, Gebriel, Pietros, adolescents érythréens que l'on suit depuis leur pays d'origine jusqu'aux côtes de la fameuse île italienne. Mila voudrait trouver à Lampedusa une légèreté, une joie de vivre qui n'existent plus dans sa famille depuis qu'un drame familial a fait sombrer sa mère dans la dépression. Quant aux ados érythréens, ils fuient tout simplement l'enfer sur terre, et rêvent de tour Eiffel et d'une vie libre.

J'ai dit que j'avais aimé les précédents livres d'Annelise, mais celui-ci est exceptionnel; non seulement dans son corpus à elle, mais plus généralement en littérature adolescente contemporaine. Ce roman, qui aurait pu être d'un consternant sentimentalisme, est absolument coruscant. A rebours des trois A de la grande majorité de la littérature ado (Action, Amour, Angoisse), il ne s'y passe presque rien. Bien sûr, les ados érythréens traversent la mer; quelques pages vers la fin sont pleines d'orages, de vagues et de terreur. Mais Annelise résiste fermement au sensationnalisme, et c'est le voyage intérieur de ces adolescents qui s'arrachent à leur pays et à leur famille que l'on suit beaucoup plus intensément. Quant à Mila, son action se résume à faire du vélo ou de la Vespa autour de l'île, et c'est au travers de ces errements circulaires que va évoluer son histoire et sa perception du monde.

L'amour... il y en a beaucoup dans ce livre, mais ce n'est pas celui, intense et capricieux, des bluettes adolescentes à la Rainbow Rowell. C'est l'amour très difficile de Mila pour une mère qui s'est enterrée vivante derrière ses lunettes de soleil; pour un père solaire et un peu désemparé; l'amour impossible pour un petit frère qui n'a pas vécu. Et puis ensuite une inclination fascinée, dont il serait faux de l'appeler sexuelle, mais très certainement sensuelle, pour la ravissante Paola qui est la Calypso de l'île et lui en fait découvrir des criques secrètes. Du côté des adolescents érythréens, il y a peu de place pour les sentiments, et pourtant la toute dernière voix sera celle, surprenante et poignante, de ce qui se fait jour quand on trouve encore un moyen de préserver son amour pour l'autre et pour l'humanité au milieu des pires angoisses.

Ce qui frappe dans ce roman, c'est quelque chose qui était déjà présent dans les précédents livres d'Annelise mais qui semble, dans celui-ci, avoir atteint son aboutissement: sa capacité exceptionnelle à l'effet de réel. L'effet de réel, c'est, comme l'analyse Barthes, cet ensemble de détails apparemment insignifiants, jetés là dans un récit par souci apparent de 'luxe' ou d'esthétique, mais qui confère une texture et une atmosphère particulière au texte l'inscrivant, pour ainsi dire, dans la droite ligne de la réalité; qui fait du récit une extension du réel.

Cet effet de réel, Annelise le développe au fil de notations discrètes, entre deux lignes de dialogue ou à travers des descriptions vives ou pensives, attirant notre attention sur, d'un côté, des objets d'une grande banalité, de l'autre, de sublimes morceaux de mer ou de falaise. Plastique, céramique, plâtre, sable, pâtisseries à la crème: on se cogne partout dans des objets divers; c'est un roman profondément psychologique et politique, mais aussi tactile et odorant.
'Ivo haussa les sourcils en signe de dénégation. Tout en se débarrassant d'un lambeau de tomate qui lui collait au poignet, il déclara:
- Franchement, c'est peine perdue. Cela nous coûterait plus cher que d'en racheter un neuf.
Mila avisa un petit bol en grès, craquelé de nervures sombres, dans lequel luisaient quelques olives à la sicilienne. Tandis qu'elle en piochait une, une idée lui traversa l'esprit:
- Peut-être que Gina Lombardi en aurait un à nous prêter?'
Ce réalisme exceptionnel, elle arrive aussi à le rendre magistralement dans ses descriptions de l'Erythrée et du voyage des adolescents. On sent une recherche faramineuse et profonde, respectueuse et passionnée, dans le soin méticuleux qu'elle prend à restituer l'atmosphère de ce pays. Mais pas seulement l'atmosphère; aussi les rêves et les espoirs de ces personnages à travers les objets qu'ils manipulent, avec (et contre) les contraintes matérielles de leur vie:
'Derrière nous se tenait Fana, le visage fendu d'un large sourire. Ses cheveux étaient tressés et perlés, relevés en une sorte de chignon dans lequel elle avait piqué un petit crayon de papier.
Du coin de l'oeil, je regardai mon père la regarder. De ses trois filles, c'était la seule qu'il considérait de cette façon. On y lisait de l'amour. De l'admiration. Fana avait eu son diplôme de fin d'études. Fana avait fait son service militaire au camp de Sawa et en était revenue. Fana travaillait pour la Patrie.
[...] Fana voulait conduire des trains. Chaque jour, à l'avant de l'une de ces locomotives à vapeur, sur l'unique ligne de chemin de fer, relier Asmara à Massawa. S'arrêter dans les petites gares, traverser les forêts d'épineux, les plaines piquées de cactus et enfin, arriver au bord de la mer Rouge, comme au bord du monde.' 
Les objets dans ce livre sont ambivalents parce qu'ils permettant au lecteur de voir, de palper, de sentir la réalité de ce monde, mais par là même on ne peut pas oublier que toute cette réalité, matérielle et sensible, est aussi un obstacle. Que ce soit le sable, l'eau, les barbelés ou même les tissus et les bois, ce sont eux qui font l'étoffe du monde et donc qui présentent aux personnages et à leurs rêves la résistance du réel. Seul le père de Mila, souffleur de verre, peut plier, transformer, vaincre, en un instant précieux, la solidité de la matière inerte: entre ses mains et au rythme de ses expirations, le verre liquide et élastique se tord et se laisse modeler.

Les personnages sont souvent minéraux, rigides et impassibles, s'opposant silencieusement aux autres comme des objets. La mère de Mila d'abord, qui
's'était coulée dans un fauteuil orange et était restée sans bouger, retranchée derrière des lunettes noires qui lui mangeaient le visage.'
Et plus tard, et plus sinistrement, un autre personnage sur l'embarcation qui emmène les adolescents à Lampedusa, 'raidie dans la même position grotesque', dormant 'les yeux ouverts'. A côté de ces personnages solidifiés, emmurés, inflexibles, la vivacité et l'énergie des autres est d'autant plus bouleversante.

Les personnages resteront séparés les uns des autres, jamais tout à fait capables de se comprendre. Il y a de la solidarité et de la coopération, et même de l'empathie, mais les voix qu'on entend sont inéluctablement cloisonnées, isolées par leurs histoires différentes et leurs perceptions du monde qui ne pourront jamais s'accorder. Comme l'île qui est le centre de l'histoire, les personnages sont insulaires, se protègent et s'enferment. Il n'est pas question ici de grands sentiments universels, mais de ce qui pousse certaines personnes, dans certaines conditions, à se rencontrer et à s'épauler. Mais jamais ce rapport à l'autre n'est présenté comme facile, et il reste extrêmement fragile.

C'est une vraie réussite, ce Refuges - tant de calme, de précision, de beauté, de mesure et de patience dans un champ littéraire (celui de la littérature ado) très intense, hyperbolique, rapide. J'espère qu'il aura tous les honneurs qu'il mérite, et je sais qu'il est déjà encensé par la critique, mais je souhaite surtout que de nombreux adolescents découvrent et savourent cette écriture dense, tranquille et biseautée d'Annelise, qui atteint ici son apogée.