samedi 16 octobre 2010

Enjeux universitaires en terre des Angles



Pour une raison non identifiée, j'ai été invitée il y a deux jours à un déjeuner avec le nouveau Vice-Chancellor de Cambridge (comprenez: le président de l'université, car le 'Chancellor', qui n'est autre que le Duc d'Edimbourg - le mari de la Reine, vous suivez? - n'a qu'un titre honorifique, ils aiment bien ça les Britons). Il y avait là une poignée d'étudiants représentant les différentes facultés, et le Vice-Chancellor, Leszek Borysiewicz, qui frôle les plafonds tellement il est grand. Très sympa, le nouvel empereur de l'université nous a longuement parlé des problèmes qu'il chercherait à gérer durant son mandat, et ils sont légion. Mais l'un d'entre eux, en particulier, m'intéresse parce qu'il est très difficile à aborder et à comprendre.

Ce problème, c'est celui de l'augmentation de la diversité à Oxbridge, et quand on parle diversité dans les grandes universités anglaises ce n'est pas seulement au sujet des minorités ethniques, des femmes et des handicapés: c'est aussi et surtout la quantité d'élèves provenant d'écoles publiques par rapport au nombre d'élèves d'écoles privées.

Oui parce qu'en France, sauf exception, on place son marmot sous l'égide de l'école publique, gratuite et obligatoire, et à quelques cahots près ça fonctionne correctement. Mais en Angleterre, que dalle. Les écoles publiques (85% des écoles) sont, en règle générale et à quelques exceptions près, remarquablement impuissantes, faute de moyens. Autrement dit, les parents ont tout intérêt à desserrer les cordons de leur bourse pour permettre à leurs angelots de rejoindre l'école privée du coin, où ils seront coachés nuit et jour pour ensuite entrer à l'université sans encombre (petit rappel: l'entrée à l'université en Angleterre se fait sur sélection). Un cercle vicieux s'ensuit - les gamins des écoles privées entrent massivement à l'université, les gamins des écoles publiques perdent confiance, les parents suivent - bien obligés - et les écoles publiques voient leur réputation déjà écornée s'effondrer complètement.

Or, le problème n'est même pas tant un problème de niveau qu'un problème psychologique, puisqu'il y a énormément d'élèves d'écoles publiques qui ont en fait largement les capacités et la motivation d'entrer à l'université, voire dans les universités de la Russell League (les meilleures universités du Royaume-Uni), voire à Oxbridge. Mais le problème, ce n'est pas qu'ils ne sont pas assez bons, c'est qu'ils n'envoient pas leur dossier de candidature. Beaucoup d'entre eux pensent que Cambridge et Oxford ne sont pas faits pour eux parce qu'ils viennent des écoles publiques. Du coup, on se retrouve à Cambridge avec une lamentable moyenne de 58% d'élèves provenant d'écoles publiques (à comparer avec la proportion nationale de 85%...).

Ce qui est assez désespérant, c'est que l'université fait d'énormes efforts pour accroître la diversité. Chaque college élit un 'Access Officer' qui a pour mission de rendre visite aux écoles publiques afin de convaincre les meilleurs élèves qu'ils ont non seulement le droit de demander à entrer à Cambridge ou Oxford, mais qu'en plus ils ont largement leurs chances d'y être acceptés. Au niveau de l'université, des dizaines de programmes sont mis en place (journées portes ouvertes, tournées des écoles, etc) dans le même but. Il y a du progrès, mais le taux d'élèves d'écoles publiques qui envoient leur candidature reste faible.

La situation se trouve d'autant plus compliquée que la presse anglaise avec ses redoutables tabloids (The Sun, The Daily Mail, The Mirror, les journaux les plus abyssalement nuls du monde) fait complètement le contraire de ce qu'elle devrait faire pour aider le processus d'intégration. D'un côté, on a droit à des articles larmoyants lamentant le manque d'élèves du public à Oxbridge ("'On m'a refusé l'entrée à Cambridge parce que je viens d'une école publique', déclare Shannon, 17 ans, les larmes aux yeux"), mais de l'autre, ils sautent sur n'importe quelle occasion de présenter les deux universités comme des refuges de bourges ultra-snobs qui jouent au polo à longueur de journée, sortent dans des boîtes select et se fringuent en Dolce&Gabbana. Et comme ces journaux sont lus par une vaste majorité des Grands-Britons, le fait que Cambridge et Oxford cherchent désespérément à prouver que c'est absolument faux n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan de la réputation qui leur est faite par les médias.

Bref, le nouveau Vice-Chancellor s'est fixé une tâche herculéenne et dont les ramifications sont très profondes et difficiles à analyser. On est tenté de réduire tout à l'argent, en disant que les élèves d'écoles publiques ne veulent pas aller à l'université parce que c'est trop cher. C'est peut-être vrai dans une certaine mesure, mais Cambridge et Oxford ne sont pas plus chères que n'importe quelle autre université britannique, et de plus il existe un grand nombre de ressources financières disponibles pour tous les étudiants. Ce n'est pas primordialement une question d'argent, c'est une question d'image, ce qui la rend d'autant plus compliquée à résoudre. Et bien entendu, le problème existe aussi en France.

5 commentaires:

  1. pas plus chères que les autres universités.... oui, mais plus pour longtemps :S Arggghhhh
    sinon, bien vu l'article :)
    Agathe (de cam)

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  2. Avec un peu de chance, ils n'augmenteront pas les fees au point de dépasser les autres universités - ce n'est pas dans leur intérêt, et ils ont plus de sponsors... mais c'est sûr que les nouveaux arrivants vont quand même raquer grave!

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  3. hello,
    C'est très louable.
    "Du coup, on se retrouve à Cambridge avec une lamentable moyenne de 58% d'élèves provenant d'écoles publiques",
    Et il faudrait voir de quel milieu social
    viennent ces élèves.
    "Oui parce qu'en France, sauf exception, on place son marmot sous l'égide de l'école publique, gratuite et obligatoire, et à quelques cahots près ça fonctionne correctement."
    C'est plus géographique en France. Beaucoup d'élèves de banlieues, de milieux pas favorisés, ne sont pas non plus au courant de l'existence des prépas, des écoles d'arts (si j'avais su j'aurais aimé faire les arts déco :-) ). Et quand ils savent que ça existe, ils ne sentent pas autoriser, ils ne s'imaginent pas à avoir le droit, cela ne fait pas partie de leur univers mental, pour les raisons que tu exposes. Il me semble que le problème est assez semblable dans ces deux pays, alors même que l'organisation de la scolarité, des écoles etc, est différent. Il y a reproduction sociale dans les deux cas, et c'est une tragédie. Chacun exotise sa manière de la conduire.

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  4. Héhé, je n'avais pas relu cet article depuis que je l'avais publié, mais en effet j'étais très naïve de dire qu'en France ça se passe autrement... c'est plus compliqué à percevoir, peut-être, mais les inégalités sont en effet tout aussi présentes.

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  5. Tu as bien mis le doigt dessus avec ce post! Je suis tout à fait d'accord. Comme tu l'as dit, le problème se penche sur l'image de l'Université : même si juste 58% des étudiants ici proviennent des écoles publiques, cette pourcentage représente aussi les milieux de tous ceux qui présentent leur candidature. (Voir ici, Table 1.2 : http://www.admin.cam.ac.uk/reporter/2010-11/special/14/undergrad_stats.pdf).

    Le seul défi pour ma lecture était l'idée d'une 'école publique' - j'ai pensé immédiatement à Eton ou Harrow. Il faut améliorer notre système anglais de classification, me semble-t-il ...

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