Je vais sans doute me faire huer et conspuer puis fouetter publiquement à l'aide d'un bouquet de ronces crochues, mais jusqu'à la semaine dernière je n'avais toujours pas lu Tobie Lolness.
Evidemment, j'avais entendu parler de Timothée de Fombelle dont l'ascension fulgurante dans le milieu de la littérature jeunesse était parvenue jusqu'à mes oreilles anglocentrées il y a deux ans. Je l'avais ensuite entendu discuter de Vango dans je ne sais plus quel podcast (Jusqu'à la Lune et retour peut-être?). Je l'avais simplement ajouté à ma liste mentale de trucalires, si vous voyez ce que je veux dire, mais je n'avais pas fait l'effort amazonesque d'aller acquérir ses oeuvres à renfort de souris et de carte bleue.
Bref, voilà où en était la situation jusqu'à ce que ma tante (que je remercie au passage) ne s'indigne fermement de cette funeste lacune et me force à lui emprunter Tobie Lolness, qui était passé entre les mains de mon cousin, d'elle-même, et de mon oncle, et avait ainsi reçu l'approbation de presque toute la famille (la petite soeur ayant encore quelques années devant elle avant d'apprendre à lire).
J'ai commencé à lire Tobie Lolness dans l'Eurostar (ah! combien de grandes aventures débutent ainsi par un voyage en train!). Mauvaise idée, car c'est le genre de livre qui te donne envie d'aller tapoter l'épaule du mec en face pour lui dire 'Permettez-moi, businessman à Blackberry, de vous déranger intempestivement pour vous annoncer que si vous n'avez pas lu Tobie Lolness à cinquante ans, c'est que vous avez raté votre vie'. J'ai réussi à me retenir, cependant, mais je hoquetais de joie telle la mouette rieuse, passant pour une dangereuse maniaque auprès de mes covoyageurs.
Tobie Lolness est absolument jouissif: c'est drôle, intelligent, intense, et très joliment et pertinemment illustré. C'est aussi l'un de ces livres qui a automatiquement la texture d'un classique. L'intrigue se déroule dans un arbre-monde, un peu à la Claude Ponti: c'est le reflet évident de notre propre univers, avec ses questions sociales et environnementales et ses problèmes politiques. Mais la fraîcheur du style et de l'intrigue évitent à ce parallèle toute lourdeur. L'idéologie est en fait étonnamment conventionnelle, avec ses héros et ses méchants qui représentent différentes approches de ce que c'est d'être un homme, son héroïne forte et faible à la fois, et ses nombreuses familles unies et traditionnelles qui sont, sauf exception, le lieu de l'épanouissement et du bonheur. L'amour vainc la haine et ses tendances destructrices, le destin favorise ceux qui respectent les lois du monde et de la nature. Mais cette conventionalité s'accompagne d'une telle tendresse dans l'écriture, d'un tel attachement pour ces anciens idéaux, qu'il est presque impossible de ne pas être séduit par l'histoire, même si l'on en perçoit parfois le versant un peu moins glorieux.
C'est un livre vraiment extrêmement brillant, où chaque dialogue est drôle et délicieux, chaque scène d'action plus vibrante que la précédente. Le premier tome (meilleur que le second, je trouve) est admirablement bien structuré, éparpillant les flashbacks pour organiser le suspense et empêcher le lecteur de s'attarder trop longtemps sur des détails qui auront leur importance plus tard. La qualité littéraire du récit est remarquable, enchaînant des trésors de métaphores et de comparaisons qui, peut-être, en rebuteront certains, mais certainement pas moi. Les personnages censés amuser la galerie entre deux scènes dramatiques, comme le merveilleux Patate, sont particulièrement bien réussis, car Fombelle ne se limite pas au répertoire habituel de ces figures comiques et invente bien d'autres ressorts surprenants et hilarants. Il justifie aussi leur rôle en les incorporant complètement dans l'histoire.
Tobie Lolness, en résumé, sort vraiment du lot. Qu'il soit décrit comme conte, fable, fantasy ou roman d'aventure, il est, je pense, bien parti pour trouver sa place dans toutes les bibliothèques francophones et étrangères pour les générations à venir. Et oui, je sais, vous allez sans doute me dire qu'évidemment vous l'aviez déjà lu et que j'ai mille trains de retard, mais mieux vaut tard que jamais...
mardi 19 avril 2011
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