mercredi 13 juillet 2011

Pourquoi étudier la littérature jeunesse?

Ce pourrait être le sujet d'un livre entier, mais je vais vous épargner le jargon des concepts et des définitions. Voici cinq raisons simples et concises pour lesquelles il est nécessaire et fascinant d'étudier la littérature jeunesse.

Un livre pour enfants est un livre d'adultes

Ce sont les adultes qui écrivent, sélectionnent, publient, vendent et achètent les livres pour enfants. Et ils le font parce qu'ils pensent qu'ils seront bénéfiques aux enfants - qu'ils les divertiront, leur apprendront des choses, les feront grandir - les feront grandir pour qu'ils deviennent exactement comme eux... ou peut-être pas tout à fait. En d'autres termes, les livres pour enfants sont remplis des désirs, des besoins et des peurs des adultes - et en les exprimant envers leurs enfants, ils les expriment envers eux-mêmes, envers leurs sociétés et leurs cultures. Etudier la littérature jeunesse dévoile ces désirs, ces besoins et ces peurs.

Paralittérature: un monde parallèle que nous devons explorer

Les livres jeunesse appartiennent à un groupe d'oeuvres littéraires que les snobs et l'intelligentsia universitaire tend à négliger: la paralittérature. Composée d'un pot-pourri éclectique de genres et de formes - des polars à la science fiction et à la BD - la paralittérature est souvent considérée comme une littérature commerciale, basée sur des recettes et des formules simplistes. Mais c'est dans le discours populaire de la paralitérature que les préoccupations du monde moderne se trouvent cristallisées, transformées en narrations. Dans son succès, on peut lire le succès de certaines idées, et le déclin de quelques autres. La paralittérature est le baromètre des idées humaines dans le monde.

La littérature jeunesse est de bonne qualité, oui oui, vraiment

Trop de gens ne savent pas que les livres pour enfants sont vraiment bons. Ils se souviennent vaguement de la simplicité et du côté mignon de quelques titres. Etudier la littérature jeunesse est un moyen d'améliorer la réputation des livres jeunesse -du monde incroyablement varié, extraordinairement complexe, des livres jeunesse. Tous les livres jeunesse. Les livres difficiles, drôles, polémiques, bizarres, poétiques, dégoûtants, révolutionnaires, confortables, érudits, tristes, contemplatifs. Les critiques de littérature jeunesse explorent et expliquent cette étonnante planète.

La littérature jeunesse est une plate-forme expérimentale

Beaucoup d'auteurs et d'illustrateurs, dont Philip Pullman, ont expliqué leur besoin d'écrire pour les enfants - leurs raisons derrière cette envie. Et cette raison n'a rien à voir avec l'incapacité d'écrire pour les adultes, ou avec la volonté d'être publié 'facilement'. La littérature jeunesse offre une plate-forme d'expérimentation sur le fond et sur la forme - pour aborder des thèmes depuis des angles nouveaux et risqués. Le pouvoir de l'allégorie, les possibilités infinies des relations entre texte et image, la capacité de capturer l'imagination de milliers de futurs citoyens: voilà les véritables raisons qui motivent les écrivains et illustrateurs de littérature jeunesse.

La littérature jeunesse est une littérature du futur

La littérature jeunesse, comme tous les produits culturels destinés aux enfants, est un univers éducatif parallèle dans lequel nous pouvons apercevoir notre avenir. Elle construit et influence le développement de l'enfant, son identité, sa vision du monde. Elle crée des ambitions et des aspirations, sculpte les goûts et les valeurs. C'est la seule littérature qui peut changer le monde. Etudier la littérature jeunesse, c'est étudier à la fois ce dont on a hérité et ce que l'on lèguera.

traduction de mon billet anglais sur le blog de Kid You Not

10 commentaires:

  1. En gros c'est que du bonheur... Je suis bien d'accord !

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  2. Comme d'habitude, un plaisir de te lire et de mieux comprendre ton passionnant doctorat… Je m'incline.

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  3. Génial, Clem! Et passionnant, comme d'hab'!

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  4. Il met du baume au cœur cet article ! Vraiment !

    Et ravie d'avoir croisée notre petite princesse ici :)

    Double merci !

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  5. "La littérature jeunesse est une plate-forme expérimentale"
    c'est très juste ! (comme les autres raisons)

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  6. "Les livres jeunesse appartiennent à un groupe d'oeuvres littéraires que les snobs et l'intelligentsia universitaire tend à négliger: la paralittérature".

    Tout à fait d'accord, malheureusement... la preuve : au cours d'une discussion entre khâgneux il y a quelques jours, j'ai posé naïvement cette question fatidique : "Pourquoi n'étudie-t-on pas des textes de littérature jeunesse en khâgne?". Je n'y avais jamais vraiment pensé jusqu'à ce jour, et de toute évidence les autres non plus puisque personne n'a été capable de me donner une réponse convaincante (du moins je n'ai pas trouvé qu’assimiler simplement la "littérature jeunesse" à la collection "coeur grenadine" était une réponse convaincante...).

    Les Contes de Perrault, Alice au pays des merveilles : s'il m'est arrivé d'étudier ces oeuvres en cours, c'est en tant qu'elles auraient d'abord été écrites pour des adultes, et qu'elles n'auraient été adoptées qu'ensuite par des enfants (ce qui les aurait d'ailleurs dénaturées puisque leur lecture en aurait été simplifiée, rendue plus fade).

    Plus que snob, je trouve que ça frôle l'hypocrisie de la part de khâgneux de 2012 qui n’hésitent pas à se définir eux-mêmes comme la "génération Harry Potter" (et ce sans plaisanterie aucune). Moi-même je viens tout juste de me rappeler que c'est entre autre grâce à quelques livres merveilleux qui ont illuminé mon enfance et mon adolescence que je me suis lancée dans les études littéraires. Et c'est aussi en raison de ces mêmes études littéraires que je me suis mise à les renier, comme s'ils n’avaient été qu’un "avant goût", un pur divertissement, et que maintenant il fallait "passer aux choses sérieuses". D'ailleurs j'en ai même fait un blocage j’ai aujourd’hui beaucoup de mal à me lancer dans la lecture de longs romans "classiques" pour le plaisir (ie sans y être forcée) : ils me font presque peur avec leur apparence si sérieuse, comme si le tampon "lu et approuvé par le recteur d'académie" transparaissait derrière leur couverture sombre, et qu’ils n’étaient pas destinés au plaisir du lecteur mais à son instruction seule, dans un cadre purement scolaire. C’est assez terrible de sentir ce frein à la lecture alors que jusqu’à quelques années je frétillais d’impatience à l’idée de retrouver mon livre, au chaud au fond de mon lit. J’ai d’ailleurs pris beaucoup de plaisir à lire L’éducation sentimentale ou Le rouge et le noir, mais il m’a fallu l’obligation scolaire pour me lancer. Je trouve ça d’autant plus triste que, parallèlement, cela fait deux ans que mon honorable professeur me nourrit de Kundera et de son « Art du roman ». Et je crois en effet que les romans pour adultes ne sont pas plus des « choses sérieuses » que ne le sont les livres jeunesse (« sérieux » dans le sens péjoratif que lui accorde Kundera, j’entends), mais on marque une telle rupture et surtout une telle hiérarchie entre littérature adulte et littérature jeunesse que ça finit par vous imprégner le cerveau malgré vous !
    Je suis en train de réaliser que je suis devenue, inconsciemment et malgré moi, une snob de l’intelligentsia ! C’est absolument effrayant… Il faut que je me reprenne en main.

    Je n’ai donc plus qu’à me plonger dans la lecture de ce blog qui va peut-être m’éclairer sur cet aspect trop négligé de la littérature, où du moins me donner des pistes de réflexions à creuser. En tout cas tes études ont l’air vraiment passionnantes, et c’est très rassurant de voir ça quand on se prépare à quitter l’univers carcéral de la prépa… ☺
    Je te souhaite bonne continuation dans tes recherches !

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  7. "Les livres jeunesse appartiennent à un groupe d'oeuvres littéraires que les snobs et l'intelligentsia universitaire tend à négliger: la paralittérature".

    Tout à fait d'accord, malheureusement... la preuve : au cours d'une discussion entre khâgneux il y a quelques jours, j'ai posé naïvement cette question fatidique : "Pourquoi n'étudie-t-on pas des textes de littérature jeunesse en khâgne?". Je n'y avais jamais vraiment pensé jusqu'à ce jour, et de toute évidence les autres non plus puisque personne n'a été capable de me donner une réponse convaincante (du moins je n'ai pas trouvé qu’assimiler simplement la "littérature jeunesse" à la collection "coeur grenadine" était une réponse convaincante...).

    Les Contes de Perrault, Alice au pays des merveilles : s'il m'est arrivé d'étudier ces oeuvres en cours, c'est en tant qu'elles auraient d'abord été écrites pour des adultes, et qu'elles n'auraient été adoptées qu'ensuite par des enfants (ce qui les aurait d'ailleurs dénaturées puisque leur lecture en aurait été simplifiée, rendue plus fade).

    Plus que snob, je trouve que ça frôle l'hypocrisie de la part de khâgneux de 2012 qui n’hésitent pas à se définir eux-mêmes comme la "génération Harry Potter" (et ce sans plaisanterie aucune). Moi-même je viens tout juste de me rappeler que c'est entre autre grâce à quelques livres merveilleux qui ont illuminé mon enfance et mon adolescence que je me suis lancée dans les études littéraires. Et c'est aussi en raison de ces mêmes études littéraires que je me suis mise à les renier, comme s'ils n’avaient été qu’un "avant goût", un pur divertissement, et que maintenant il fallait "passer aux choses sérieuses". D'ailleurs j'en ai même fait un blocage j’ai aujourd’hui beaucoup de mal à me lancer dans la lecture de longs romans "classiques" pour le plaisir (ie sans y être forcée) : ils me font presque peur avec leur apparence si sérieuse, comme si le tampon "lu et approuvé par le recteur d'académie" transparaissait derrière leur couverture sombre, et qu’ils n’étaient pas destinés au plaisir du lecteur mais à son instruction seule, dans un cadre purement scolaire. C’est assez terrible de sentir ce frein à la lecture alors que jusqu’à quelques années je frétillais d’impatience à l’idée de retrouver mon livre, au chaud au fond de mon lit. J’ai d’ailleurs pris beaucoup de plaisir à lire L’éducation sentimentale ou Le rouge et le noir, mais il m’a fallu l’obligation scolaire pour me lancer. Je trouve ça d’autant plus triste que, parallèlement, cela fait deux ans que mon honorable professeur me nourrit de Kundera et de son « Art du roman ». Et je crois en effet que les romans pour adultes ne sont pas plus des « choses sérieuses » que ne le sont les livres jeunesse (« sérieux » dans le sens péjoratif que lui accorde Kundera, j’entends), mais on marque une telle rupture et surtout une telle hiérarchie entre littérature adulte et littérature jeunesse que ça finit par vous imprégner le cerveau malgré vous !
    Je suis en train de réaliser que je suis devenue, inconsciemment et malgré moi, une snob de l’intelligentsia ! C’est absolument effrayant… Il faut que je me reprenne en main.

    Je n’ai donc plus qu’à me plonger dans la lecture de ce blog qui va peut-être m’éclairer sur cet aspect trop négligé de la littérature, où du moins me donner des pistes de réflexions à creuser. En tout cas tes études ont l’air vraiment passionnantes, et c’est très rassurant de voir ça quand on se prépare à quitter l’univers carcéral de la prépa… ☺
    Je te souhaite bonne continuation dans tes recherches !

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  8. Merci beaucoup pour ce commentaire détaillé et passionné. Bon courage pour la prépa (urgh!) et n'hésite pas à me contacter si tu veux discuter de cet univers parallèle de l'analyse de textes...

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