vendredi 8 février 2013

E comme Enfance Symbolique

Ce n'est pas à proprement parler un concept de l'étude de la littérature jeunesse, mais quand on parle de littérature pour enfants, ça peut être utile d'avoir une vague idée de ce qu'on veut dire quand on dit 'enfant'.

Ma mère en mode 'Qu'es-tu donc, petit être?'

Alors déjà, scoop de l'année: un enfant, ça n'existe pas. Ou pour le dire autrement:

'On ne naît pas enfant; on le devient'
Car en réalité, quand on dit 'un enfant', ce terme ne correspond à aucune réalité mesurable; le terme 'enfant' ne se réfère ni à un âge ni à une taille ni à un poids. C'est une construction: une invention socioculturelle, historique, politique et économique. Une personne n'est un 'enfant' que lorsqu'elle correspond ici et maintenant [hic et nunc si tu veux te la péter] à ce que l'on appelle l'enfance symbolique.

L'enfance symbolique, c'est le réseau de croyances, de valeurs, de peurs, de concepts, de désirs, de données, de prérogatives, de lois, etc., qu'une certaine société en un temps donné tisse autour des termes 'enfant' ou 'enfance' pour servir ses propres intérêts et assurer son avenir; tout cela évidemment de manière plus inconsciente que consciente.

C'est un tissu serré qui est fait entièrement de représentations de l'enfance - qu'elles soient légales, philosophiques ou artistiques. L'enfance symbolique ne recouvre donc pas la réalité de la condition d'enfance (on a vu que cette réalité n'existait pas); elle ne s'incarne dans aucun individu réel, et aucun individu réel ne peut en recenser tous les aspects. 

Certaines préconceptions qui y sont associées sont relativement inchangées d'une société à l'autre - présomption d'ignorance, besoin de protection, dépendance aux parents, etc - mais à sa périphérie elle peut être très variée: âge du mariage, capacité de travail, sexualisation, pratiques économiques sont des paramètres qui peuvent différer considérablement d'un pays à l'autre et d'un siècle au suivant.

Ces représentations, cette 'enfance symbolique', se trouvent distillées et donc distribuées (à la fois aux 'adultes' et aux 'enfants') au travers de tout discours d'une société en un temps donné, que ce discours soit ou non directement lié à l'enfance: oeuvres culturelles, messages publicitaires, textes éducatifs... Evidemment, la littérature jeunesse en est un glorieux exemple, car elle est particulièrement riche en représentations de l'enfance et du rapport entre adulte et enfant: c'est donc un très bon baromètre de ce que peut être l'enfance symbolique hic et nunc, et c'est pourquoi on l'étudie. 

Vu comme ça, on dirait que ce sont, encore une fois, les adultes qui décident de ce que sont les enfants (même inconsciemment). Mais en réalité, les individus appelés 'enfants' qui appartiennent à ce réseau de symboles et y évoluent participent aussi de ses changements. Les micro-cultures de cour de récré, les productions artistiques ou culturelles des enfants (qui, avec Internet notamment, sont désormais beaucoup plus largement diffusées), leurs comportements de consommateurs, leurs décisions vestimentaires ou nutritionnelles, tous ces petits événements venus de l'intérieur de ce qu'on appelle 'l'enfance' contribuent à en modifier les paramètres et à en redessiner les frontières.

J'espère que ce petit compte-rendu n'est pas trop abstrait! c'est un concept très important je pense et on ne peut pas faire sans.

A lundi! où l'on parlera de F, comme Freud... et comme Fées! comme on le verra, la littérature jeunesse est un terrain sur lequel ils se disent coucou.

8 commentaires:

  1. Dans le fond, c'est ce qui explique que le héros de la littérature jeunesse change à ce point d'une époque à l'autre. L'enfance symbolique évolue, et sa représentation littéraire avec elle. Par exemple, les "enfants sages" de moins en moins représentés par rapport à l'époque de Little Princess, puisque notre société actuelle préfère ses enfants libre penseurs et fort d'esprit plutôt qu'obéissant.

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    1. oui! et analyser ces différences est extrêmement intéressant.

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  2. Très intéressant! Je me questionne justement sur la critique de la litt. jeunesse d'après notre "idée" de l'enfance. Les adultes la critiquant le font d'après leur propre conception de l'enfance alliée à leur conception de la littérature et je me demande souvent quelle valeur accorder à ladite critique tant cette conception est changeante d'un individu à l'autre (et ce même si on y trouve des points commun). Les images que se font les adultes (et je m'y inclus) de l'enfance est bien souvent une image idéalisée. Cela conduit à des critiques diverses et variées certes mais le regard de l'adulte sur l'enfance est clairement subjectif. J'ai parfois l'impression que la critique de la littérature jeunesse ne peut se faire qu'à travers un prisme un peu déformant de l'enfance ou alors qu'on ne peut la saisir totalement.

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  3. J'applaudis des quatre fers ! Le plus triste dans l'histoire c'est que les enfants se formatent et se s'autocensurent en fonction de l'idée qu'ils se font des attentes de leur entourage. (l'éducation à la française, parentale et nationale, est particulièrement assassine sur ce point).
    Idem pour la littérature jeunesse nationale, trop souvent bridée, formatée, rarement drôle ou fantasque. Quel décalage entre l'aspect visuel de l'album de plus en plus novateur et ambitieux et le propos, souvent plat et univoque.
    Ton abécédaire est un régal Clémentine, vivement la suite !

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    1. Oui! comme tous les groupes que l'on catégorise et étiquette (c'est-à-dire tout le monde, d'une manière ou d'une autre), on est forcément formaté par le discours dominant qui nous raconte qui on est...

      et je suis très très d'accord sur la question du décalage entre audace esthétique et inanité verbale: c'est très courant en effet!

      merci beaucoup, contente que ça plaise.

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  4. Je ne te parlerai pas de littérature enfantine, la regardant par le petit bout de la lorgnette. Mais envie de te dire que j'avais une drôle de sensation quand tu avais 2-3 ans : celle justement que tu n'étais pas (plus ?) enfant ...

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    1. intrigant... d'autant plus que je ne suis pas sûre de savoir qui se cache derrière ce pseudo! :D

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