mercredi 27 février 2013

M comme Maison

Quand j'étais petite, l'un de mes livres préférés de chez préférés, c'était celui-ci: La maison aux mille bonheurs, de Paul-Jacques Bonzon. C'était un bouquin de lecture suivie, donc découpé en chapitres avec exercices et listes de vocabulaire, que ma mère avait eu à l'école dans les années 60 et qu'elle m'avait passé. C'est l'un des meilleurs livres pour enfants que j'aie jamais lu, relu, rerelu et rererelu. C'est une histoire absolument merveilleuse: Olivette, Courtes-Pattes et Cigalou vont passer des vacances extraordinaires dans le mas de l'Oncle Figue, qui a des koalas, un chameau, tout un tas de bric-à-brac génial, et leur raconte l'histoire terrifiante de la Tarasque. Si vous le trouvez dans une brocante, achetez-le fissa, les amis. Ou sinon, allez jeter un oeil à cette version très probablement illégale, mais vous n'aurez pas l'odeur du vieux papiers et les splendides aquarelles.


Si vous avez besoin de davantage de preuves que j'étais fort adepte de récits domestiques quand j'étais gamine, sachez que mon Tintin préféré était Les bijoux de la Castafiore, et mes Martine préférés Martine petite maman, Martine à la maison et Martine chez Tante Lucie (le caftez pas à mes éditrices de Talents Hauts siouplé).

Qu'ont en commun tous ces jolis récits bourgeois? La maison. La maison, c'est un motif irréductible du livre jeunesse, et pourtant en réalité les récits qui s'y déroulent entièrement sont plutôt rares. Car en général, la structure typique de l'histoire pour enfants, c'est la suivante:

Maison --> Dehors --> Maison


Que l'on peut décliner en d'autres termes; confort --> aventure --> confort, intérieur --> extérieur --> intérieur, etc. Mais cette structure est littérale dans 90% des récits pour la jeunesse, et figurative dans le reste. Harry Potter y est extraordinairement fidèle, par exemple, et le retour annuel à la maison pourtant atroce des Dursley est même justifié par un élément central de l'intrigue.

Pictures of Home, Colin Thompson
Symboliquement, même des histoires comme Les bijoux de la Castafiore ont cette structure. Car même si l'intrigue se déroule intégralement à Moulinsart, celui-ci n'a justement plus le statut de maison: le château n'est soudainement plus le confortable home qu'il est d'habitude. Il est constamment assiégé par des éléments extérieurs - les romanichels, la Castafiore, Séraphin Lampion et sa clique, et même le téléphone et la télévision; il devient dangereux (la marche cassée qui invalide le capitaine, la guêpe qui le pique); il semblerait qu'il y ait un intrus qui vient y voler des choses. La maison est symboliquement détruite.

Il est donc question dans toute la BD de faire regagner à Moulinsart son statut de maison. La fin, avec le départ de tous ces intrus, la solution du vol, etc, salue le retour à la maison de Tintin et du capitaine, alors qu'ils ne l'avaient en fait jamais quittée physiquement - seulement symboliquement.

Le motif de la maison en littérature jeunesse est historiquement fortement 'genré' - les livres 'pour filles' et les livres 'pour garçons' n'ont la même conception de l'espace domestique et de cette structure maison --> dehors --> maison, parce qu'ils ne remplissent pas la même fonction.

La maison dans les livres traditionnels pour filles est un espace à apprivoiser - à domestiquer au sens propre du terme. Elle se trouve miniaturisée, très souvent, sous la forme d'une maison de poupées qui concentre un conflit fictif, et au travers de laquelle la petite héroïne apprend à maîtriser son espace. Souvent, l'impératif est de grandir en bonne maîtresse de maison. On peut alors dire que la petite fille commence symboliquement son parcours dans la nursery, va 'au-dehors' en s'occupant de l'espace domestique, et termine symboliquement dans la cuisine ou dans la salle à manger. Elle passe du statut d'enfant à celui de ménagère.

Ce sont généralement des récits très bourgeois et la maison est amoureusement et minutieusement décrite, comme pour séduire la petite lectrice et lui inculquer un fort attachement pour les effets domestiques et leur valeur. Et ça a son petit effet, malheureusement, car même la plus endurcie des féministes aurait du mal à ne pas craquer sur cette délicate cage à oiseaux, ces tomettes artistiquement mal alignées, ce tapis rétro... Evidemment qu'on a envie de les nettoyer à fond, hein Martine?

Maurice Sendak, Max et les Maximonstres
Pendant ce temps, le parcours traditionnel du héros mâle, s'il s'encadre aussi de la maison de chaque côté de l'aventure, ne présente pas l'espace domestique de la même manière. C'est un endroit où l'on s'ennuie et qui est frustrant, où les parents (surtout la mère) règnent en despotes (Max et les Maximonstres); les événements extérieurs et intrusifs fascinent (L'île au trésor). Il y a un départ physique du home.

Quand le garçon revient, ce n'est pas pour s'installer dans la maison et en faire son projet; c'est pour faire bénéficier les habitants de la maison de son expérience acquise à l'extérieur, comme un microcosme où se répercuteraient les changements sociopolitiques que le héros a occasionnés dehors. Percy Jackson, qui a en réalité deux maisons, 'fait le ménage' du pouvoir de l'adulte dans l'appartement de sa mère (qui pétrifie l'odieux beau-père) et revient en vainqueur au camp des demi-dieux, grâce à l'autorité quasi-divine qu'il a acquise. Là encore on a un héros qui grandit d'enfant à adulte, mais dont la maison est moins un point d'ancrage qu'un échantillon représentatif du monde qu'il a conquis.

Heureusement, ces jours-ci, les parcours héroïques par rapport à la maison dans la littérature jeunesse sont beaucoup plus 'dégenrés'; enfin, disons qu'il est devenu tout à fait acceptable pour des filles d'avoir des aventures extradomestiques comme les garçons, mais qu'il est beaucoup moins habituel de trouver des récits exclusivement intradomestiques avec des petits mecs. Comme d'hab', la fille est autre et peut se normaliser, mais le garçon est norme et on ne veut pas l'aliéner. Mais c'est un autre débat.

Bon, j'en ai encore écrit des tartines moi! Allez, on se voit vendredi pour parler de Nature.


6 commentaires:


  1. Tres interessant, et c'est un thème qui me parle pas mal (Ha, Bachelard) mais j'ai peut-être bien un contre-exemple sous le coude : Fifilolotte Victuaille Cataplasme Tampon Fille d'Efraïm Brindacier.

    On la range où Fifi ? Hors-normes, comme sa maison, ou pas tant que ça tu crois ?

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    1. Où range-t-on Fifi, telle est la question!! :D beaucoup de chercheurs s'accordent à dire que c'est l'un des très rares cas en littérature jeunesse de vraie enfance puissante, radicale, révolutionnaire. Je suis assez d'accord!

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  2. Très bon article, comme d'habitude...
    Je viens de me rendre compte que, plus petite, j'adorais les livres anglais policiers qui se passaient en huis-clos : les Agatha Christie notamment, mais aussi les aventures de Miranda, Jenny et Peter dans la collection "Jamais deux sans trois", de Fiona Kelly, chez Actes Sud. Je ne sais pas si ça existe encore : en tous cas j'avais toute la collection, et mon préféré se passait dans un château des Cornouailles où le temps des vacances, les trois enfants mènent l'enquête. Ambiance "Bijoux de la Castafiore" garantie!
    Est-ce que le fait de trouver le meurtrier et de rétablir l'ordre dans la maisonnée fait peut-être justement partie d'une vision genrée de la maison, d'autant plus qu'il s'agit de deux auteurEs? A creuser...

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    1. Ah je n'ai jamais entendu parler de ces livres-là! mais peut-être sont-ils plus 'androgynes' en fait, quand il y a aventure et danger au foyer.

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  3. Merci pour la référence à la
    Maison aux mille bonheurs ! J'avais complètement oublié le titre, je me souvenais seulement de Cigalou. C'est un de mes grands souvenirs scolaires où la leçon de compréhension du soir était un véritable plaisir !

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    1. Ah génial! je suis ravie de pouvoir partager ce bonheur (et les 999 autres) avec quelqu'un...

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