Merci à Mariesse d’avoir suggéré ce thème.
Le tabou, c’est l’indicible : l’interdit le plus puissant que l’on puisse concevoir, puisqu’on ne peut même pas le dire.
En littérature jeunesse, les tabous sont une vraie plaie. Personnellement, je pense qu’ils ne devraient pas exister, mais ils existent bel et bien, et avant de se lancer dans un roman pour enfants avec un thème « difficile », si l’on veut vraiment qu’il soit publié, il faut y réfléchir fermement. Car ceux qui pensent que « de nos jours, on peut parler de tout » se trompent. La plupart des éditeurs (et surtout les « grands » éditeurs) ne veulent pas publier de livres à thèmes tabous.
Cependant, les tabous évoluent, et il y avait il y a cinquante ans des thèmes complètement interdits en littérature jeunesse qui sont désormais relativement courants. Parmi eux :
- Le divorce
- Le sexe
- La mort, particulièrement le suicide
- L’avortement
- L’homosexualité
- La drogue
- Le meurtre perpétré par l’adulte
Mais il y a toujours des vides sidéraux à certains endroits, qui prouvent bien que les tabous existent toujours. Actuellement, il est toujours extrêmement difficile dans un livre jeunesse d’aborder, entre autres:
- La maladie grave
- La prostitution
- La torture
- L’inceste
- Le meurtre perpétré par l’enfant
Et plus on descend vers la petite enfance, évidemment, plus c’est risqué. Un roman « jeune adulte » comme Forbidden, de Tabitha Suzuma, peut aborder l’inceste frère/sœur (et encore, c’est un roman extrêmement controversé). Mais il est presque impossible, comme je l’ai découvert à mes dépens, de parler de cancer par le biais d’un album.
Mais pourquoi faudrait-il dire non aux tabous ?
C’est vrai, après tout : pourquoi aborder ces thèmes « horribles » ? C’est une question de conception de l’enfance. Les partisans des tabous adhèrent à une conception de l’enfance héritée de la période romantique : ils imaginent un enfant idéal, angélique, dont il faut absolument préserver l’innocence. Ceux qui pensent au contraire que les tabous sont indésirables adhèrent à une conception de l’enfance post-freudienne : l’enfant est désacralisé, l’enfance imaginée justement comme une période d’apprentissage et de négociation des interdits.
Dans la pensée moderne, cela se traduit par l’idée que le livre pour enfants est un moyen extrêmement puissant d’aborder les tabous, pour mieux les expliciter et les débarrasser de leur interdit « magique ».
Quand Judy Blume a publié Pour toujours, en 1975, personne n’avait jamais abordé la sexualité adolescente de manière aussi franche. Malgré la tempête de critiques indignées, Pour toujours est devenu un livre culte qui a aidé des millions d’adolescents à travers le monde à dédramatiser leur propre sexualité et à l’envisager avec humour et tendresse.
Les drogues dures étaient un sujet absolument tabou en littérature jeunesse jusqu’à la publication de Junk, en 1996, par Melvin Burgess. Ce bestseller mondial, encore une fois conspué par les partisans de « l’innocence », a présenté à des millions de lecteurs les scènes ultraréalistes, terriblement choquantes, d’une bande de jeunes héroïnomanes. C’était un sujet dont on ne parlait pas, et donc un sujet dont on ne savait rien.
Bien sûr qu’il faut s’adapter à la tranche d’âge lorsque l’on aborde un sujet tabou. Mais il faut les aborder, car si l’on ne le fait pas, on les nourrit. On ne « traumatise » pas les jeunes lecteurs en abordant des thèmes difficiles : il est impossible de savoir ce qui va traumatiser un jeune lecteur. Moi, j’étais traumatisée par Pinocchio et par Tistou les pouces verts.
Il est faux et dangereux de penser que les enfants ne sont pas « capables » de comprendre et d’assimiler des thèmes difficiles. Ce sont les adultes qui n’en sont pas toujours capables.
Et vous, qu'en pensez-vous? Avez-vous déjà été rejeté par des éditeurs pour cause de sujets "tabous"? Lesquels?
ouaip... handicap, prison et dictature (bon, pas dans le même album, hein, faut pas pousser !) : tous trois multi-refusés malgré des lectures hyper favorables.
RépondreSupprimerDégoûtée, quoi.
Pour ma part je ne suis pas d'accord. La maladie et la mort d'un enfant est un thème de plus en pluis abordé en littérature de jeunesse, même dans les albums. Après il ne faut pas forcément passer par les circuits traditionnels pour les obtenir: associations, centres spécialisés...Après c'est vrai que la qualité littéraire n'est parfois pas au rendez-vous. Mais prenez la collection "Mots-sésames" chez Gecko éditions, ils publient de supers albums qui traitent d'autisme, de handicap, de maladie, etc.
RépondreSupprimerIl est vrai que j'ai travaillé sur l'élaboration d'une biblio sur ce thème dans la médiathèque où je travaille, aussi j'ai pu constater une littérature de jeunesse foisonnante sur ce sujet^^
Je pense qu'il y a aussi la façon d'aborder ces thèmes.
RépondreSupprimerSi on en fait l'apologie, je comprends que ce soit refusé.
Mais il est possible de les traiter en les expliquant aux enfants et jeunes ados
J'ai traité notamment dans mon roman le problème de la fugue, histoire de déculpabiliser tant les jeunes que les parents.
(extrait qui suit - c'est un dialogue entre 2 chats au sujet du chaton de leur amie qui a disparu)
Popol : Tu ne crois pas qu’après tout ce qu’on lui a sorti hier, elle veuille nous chambrer un peu et a fait une petite fugue histoire de marquer le coup ? Tu sais, à cet âge-là, les réactions des jeunes sont imprévisibles. Et puis, elle rentrera comme si de rien n’était, en faisant semblant de rien. Et comme sa mère sera trop contente de la retrouver, elle passera l’éponge et ne lui dira rien. Il ne faut pas t’inquiéter outre mesure, ce n’est sans doute qu’une petite escapade sans conséquence et nous adultes, avons tendance à nous faire du mouron parce c’est notre famille, notre sang et qu’on s’inquiète pour eux. Mais voilà, elle va revenir comme une fleur et il ne faut pas trop la brutaliser, elle est à un âge où on prend tout à cœur.
Lachi : C’est une ado notre petite Croquette et les fugues surviennent pratiquement toujours suite à un coup de tête, tu sais. Elles engendrent ainsi un soulagement pour le chaton, qui commence à respirer, à vivre pour lui sans avoir le poids de sa mère. C’est au départ une délivrance, mais qui très vite se transforme en piège. Il est en effet difficile de faire machine arrière et de revenir à la maison. Le retour au foyer est un moment très important, il faudra le dire à ta sœur. Il conditionne l’évolution de la situation à venir, il ne faut pas le négliger. Elle devra se montrer gentille avec elle sans pour autant banaliser son acte, lui parler à chaud, essayer de comprendre les raisons qui ont déclenché sa fuite. En revanche, culpabilisation et colère sont des réactions à proscrire, car elles risquent de précipiter la rupture des relations, de fermer définitivement la porte au dialogue. Tout le monde est passé par là au moins une fois dans sa vie, même si tout le monde n’a pas forcément fait de fugue.
Les disparitions peuvent durer quelques heures ou plusieurs semaines. Espérons ici qu’elle ne durera que quelques heures.
Popol : Tu sais, elle peut débouler ici d’un moment à l’autre, sans crier gare. Les ados sont surprenants et souvent insaisissables. Il y a de quoi être dérouté, je sais, mais ça lui passera et il faut s’armer de patience, tout simplement.