Marie-Aude Murail est sans doute l'auteure pour ados la plus réputée en France et pour de bonnes raisons - elle est incroyablement douée pour ce genre ultra casse-gueule. Elle arrive, dans chacun de ses livres, à créer des ponts entre un quotidien banal, typique d'une vie d'ado sans rebondissement, et une transformation de ce quotidien, qui rend tout différent et fait apparaître des éléments dérangeants, dangereux, extrêmement séduisants.
A douze ans, j'ai commencé ma cure de Marie-Aude Murail avec
Oh, Boy, brillant récit mélangeant cancer de surdoué, suicide au Canard WC et homosexualité - une combinaison jamais vue auparavant en littérature jeunesse, et qui a beaucoup fait pour attirer l'attention sur ce genre assez marginalisé.
Et puis il y a eu toute la série des
Babysitter Blues et des
Nils Hazard, ce dernier étant particulièrement intéressant puisque les héros des histoires sont adultes, bien plus âgés que le public auquel les livres s'adressent. Je me souviens encore du frisson de transgression ressenti en bouquinant
Dinky Rouge Sang, au CDI de mon collège, saisissant à mi-voix les allusions coquines entre Nils et sa petite amie étudiante. Marie-Aude Murail n'a jamais eu peur de ce genre de sous-entendus. Une bonne partie de la série des
Golem, coécrite avec ses frère et soeur, repose sur le personnage d'un geek sexuellement frustré.
Bref, je n'ai pas hésité une seconde à dépenser presque 30 euros de mon petit budget d'étudiante pour acquérir il y a quelques mois l'une des dernières créations de Marie-Aude,
Miss Charity, illustré par Philippe Dumas, dont le pitch m'avait fortement intriguée: il était question, semblait-il, d'une sorte de biographie romancée de Beatrix Potter à la sauce Austen, Brontë et Darwin. Miam!
Je n'ai qu'une chose à dire, c'est le meilleur Marie-Aude Murail.
Miss Charity est un livre d'une intelligence inégalable, mélangeant avec aisance exercice de style (écriture pseudo-victorienne, mais pleine de clins d'oeil à des formules plus modernes), références littéraires (d'Oscar Wilde à Bernard Shaw, en passant par Jane Eyre, la Comtesse de Ségur, l'
Origine des Espèces et bien entendu Beatrix Potter), et comédie romantique.
Mais ce livre est d'autant plus réussi qu'il constitue un véritable manifeste de l'écriture pour la jeunesse, dans tout ce qu'elle a de plus respectable et de plus transgressif. Le personnage de Charity, par sa passion pour le dessin et sa manière originale de s'adresser aux plus jeunes, est en conflit avec la bien-pensante société anglaise et ses méthodes d'éducation. Elle représente à elle seule la possibilité pour l'artiste de s'affranchir des académies (passant de la représentation précise de la nature à une interprétation narrative de celle-ci), et de créer de nouvelles traditions littéraires et illustratives. Les enfants, dans
Miss Charity, sont les spectateurs éclairés (et fascinés) de cette nouvelle forme d'art. C'est grâce à eux que Charity, personnage marginal et énergique, secoue et dérange les moeurs de la vieille société anglaise.
C'est donc un livre qui défend et valorise tous ceux qui oeuvrent pour que la littérature jeunesse soit reconnue et respectée comme une forme d'art, subversive et non-conventionnelle, et que l'on considère l'enfant pour ce qu'il est: un amateur d'idées nouvelles, au goût beaucoup plus aiguisé qu'on pourrait le croire, et qui mérite qu'on lui offre des mots et des images de la plus haute qualité.
Et l'écriture, toute en dialogues... ça aussi, c'est une sacrée audace, j'ai trouvé. Et du coup, bon sang, quel rythme!
RépondreSupprimerComme toi Clémentine : GROS GROS coup de coeur de cette année!